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(Article basé sur l’ouvrage Le Management Lean par Michael Ballé et Godefroy Beauvallet)

En ces temps d’économie troublée au point que la notion de crise se pérennise, et paradoxalement de surdéveloppement des capacités et donc de la concurrence, c’est toute une génération de dirigeants, qu’il s’agisse de production et de vente de produits ou de sociétés de service, qui doit adapter sa vision stratégique à ces nouveaux défis. Le secteur médical n’est pas épargné par cet état de fait, et le management lean, pratique plus que vision ou philosophie, est l’une des solutions à ce jour les plus efficaces pour une gestion d’industrie, d’entreprise, d’administration stable et compétitive. Issue de l’industrie automobile et fruit réactionnel à la faillite de Toyota au sortir de la Seconde Guerre mondiale (qui a donc fait ses preuves, compte-tenu de la position de cette société par la suite), cette pratique qui nous vient du Japon s’est étendue à tous les secteurs et domaines professionnels et a été adaptée localement par divers spécialistes dont nos deux auteurs. Michael Ballé, docteur en sciences sociales et sciences de la connaissance et attributaire du prix Shingo, et Godefroy Beauvallet, maître de conférences et chercheur en sciences de gestion et sociologie de l’innovation, ont tous deux passé vingt ans à accompagner des dizaines d’entreprises vers cette nouvelle façon de diriger.

Le terme « lean Â», fondĂ© avec le concept lui-mĂŞme par deux auteurs amĂ©ricains, Jim Womack et Dan Jones, en s’appuyant sur les mĂ©thodes et la philosophie d’entreprise de Toyota, signifie en anglais « maigre Â», mais avec une notion de souplesse et d’agilitĂ© ne se rĂ©duisant pas Ă  une Ă©conomie matĂ©rielle ou Ă  une frugalitĂ© de moyens. Le lean est fondĂ© sur la cohĂ©rence, la rĂ©flexion, le dĂ©veloppement des personnes avant celui des produits et la suppression du gaspillage plutĂ´t que la privation. Il est Ă©galement fondĂ© sur la notion de changement permanent, et sur un schĂ©ma de rĂ©flexion au moindre aspect de la gestion sous forme de cycle abrĂ©gĂ© en PDCA : Planifier, DĂ©marrer, Confirmer, Ajuster, en vue de remplir trois objectifs fondamentaux : la satisfaction des clients (donc, ici, des patients), le dĂ©veloppement personnel (de l’ensemble des collaborateurs et de leur implication en termes de qualitĂ©), et l’élimination du gaspillage sous toutes ses formes (matĂ©riel ou impalpable comme le temps, l’énergie…)

Aborder le lean

Le concept fondamental du gemba

Le terme gemba en japonais dĂ©signe « le vrai lieu Â», le terrain rĂ©el habitĂ© de vraies personnes confrontĂ©es Ă  de vraies situations, oĂą se situe une action. Aller « sur un gemba Â», c’est d’abord rechercher des faits, et non pas seulement des donnĂ©es. C’est apprendre Ă  voir et Ă  entendre rĂ©ellement, pas du haut d’une tour en termes de chiffres et de statistiques, mais sur le terrain, au contact de l’humain dans toute sa complexitĂ©, sa maladresse, sa diffĂ©rence, Ă  rencontrer au sens ontologique patients, collaborateurs, confrères, impliquĂ©s dans le processus. C’est la notion fondamentale Ă  intĂ©grer dans toute approche lean : le premier gemba apprivoisĂ© doit ĂŞtre celui du patient, ce qui lui convient, ce qui n’est pas acceptable, le second celui du cabinet, de l’intĂ©gralitĂ© de ses membres, et le troisième celui des fournisseurs externes (de produits ou matĂ©riel, comptables, laboratoires, collaborateurs volants…).

Regarder n’est pas voir : l’expĂ©rience montre qu’il faut au minimum vingt minutes d’apprĂ©hension d’une situation donnĂ©e pour commencer Ă  la saisir et s’en faire une idĂ©e propre, non fondĂ©e sur ce qu’on nous en a dit ou les apparences superficielles. La situation concrète est toujours diffĂ©rente de l’idĂ©e que l’on s’en fait a priori, et la prĂ©sence physique, l’expĂ©rience individuelle d’une situation est fondamentale dans sa comprĂ©hension. C’est la raison pour laquelle des solutions Ă  un problème prĂ©cis paraissant impeccables sur le papier s’avèrent impossible Ă  mettre en Ĺ“uvre ou ne fonctionnent pas, sans que le dirigeant, qui a formulĂ© seul le problème en se basant sur des donnĂ©es et non des faits, et sans se rendre sur le gemba, ne parvienne Ă  comprendre pourquoi. Par exemple, sur une ligne de production, l’équipe de nuit produit moitiĂ© moins que l’équipe de jour. Si l’équipe dirigeante se contente de ces chiffres « remontĂ©s Â» et d’un brainstorming entre managers, il pourra, sur les conseils des uns et des autres, revoir le recrutement, la formation du personnel, la gratification des membres des Ă©quipes de nuit, les horaires et les rotations pour la gestion de la fatigue, organiser des sĂ©minaires de motivation, licencier et rĂ©embaucher, et n’obtenir aucune amĂ©lioration. S’il Ă©tait venu une seule fois de nuit, ou l’un de ses managers, il aurait simplement constatĂ© que l’éclairage Ă©lectrique de la chaĂ®ne est insuffisant, ce qui ralentit le travail des ouvriers mĂŞme les mieux formĂ©s et les mieux payĂ©s, problème qui n’existe pas avec la lumière du jour et rĂ©glable en une heure Ă  moindre coĂ»t. Le management lean et tous ses concepts annexes reposent essentiellement sur cette dynamique de comprĂ©hension / rĂ©action sur les dĂ©tails, petit ajustement par petit ajustement, pour d’immenses rĂ©sultats. Ils reposent Ă©galement sur la cohĂ©rence de cette chaĂ®ne, et sur l’idĂ©e qu’une inefficacitĂ© est rarement la faute de la personne ou du système inefficace mais d’un dĂ©faut de comprĂ©hension du problème et de formation Ă  sa rĂ©solution. La hiĂ©rarchie n’est pas un Ă©lĂ©ment pertinent dans la philosophie lean : si une chaĂ®ne directionnelle est bien Ă©videmment indispensable et naturelle compte-tenu des diffĂ©rences de tâches et de responsabilitĂ©s, le fonctionnement mĂŞme de l’entreprise dĂ©pend de la comprĂ©hension et de l’adhĂ©sion de chacun de ses membres Ă  la rĂ©ussite de la maison-mère. Le manager est celui qui embrasse la notion de changement, d’adaptation permanente et s’assure de ce que chaque collaborateur la comprend, l’approuve et s’investit personnellement dans cette dynamique. Lorsque ce n’est pas le cas, il ne blâme pas son personnel mais son propre dĂ©faut de moyen ou de pĂ©dagogie, et s’inclut dans les ajustements et changements Ă  produire. Il fait partie intĂ©grante de son gemba.

La magie du produit

Avant mĂŞme toute considĂ©ration mĂ©thodique sur les systèmes et protocoles, il est important de comprendre que la clef du succès de l’approche lean rĂ©side dans sa finalitĂ©, qui n’est pas la rĂ©ussite financière de la structure mais la satisfaction du client ou, dans le cadre d’un cabinet dentaire, du patient. Autrement dit, la dĂ©marche lean commence Ă  la conception mĂŞme du produit ou service dans cette perspective. On l’a dit, le premier gemba Ă  cartographier est celui du patient, et il ne s’agit pas de crĂ©er une proposition qui nous paraisse, Ă  nous, attirante, mais de crĂ©er et renouveler celle que les patients attendent rĂ©ellement. Pour ce faire, monitorer et Ă©tudier avec attention les rĂ©clamations et avis nĂ©gatif est un des points fondamentaux. Beaucoup de personnes ont du mal Ă  exprimer le « pourquoi Â» d’un avis positif, Ă  expliquer « pourquoi Â» quelque chose leur convient, voire leur plaĂ®t. En revanche, les points nĂ©gatifs sont très souvent prĂ©cisĂ©ment ciblĂ©s et clairement formulĂ©s.

La question Ă  se poser sans cesse sur le gemba patient est donc celle de la valeur de vos services du point de vue du patient, et c’est uniquement en se fondant sur cette connaissance de vos patients et de leurs besoins, envies et repoussoirs que vous pourrez crĂ©er les protocoles et processus permettant de les fidĂ©liser. Le manager lean dĂ©veloppe (et fait se dĂ©velopper chez ses collaborateurs sur le terrain) un rĂ©flexe primaire et presque animal formulĂ© par deux onomatopĂ©es : le « aaaaah Â» de la satisfaction et le « grrrrr Â» du mĂ©contentement et de l’agacement, qui doivent ĂŞtre identifiĂ©s et perçus pour chaque interaction Ă  chaque Ă©tape du chaque contact avec un patient, en direct, au tĂ©lĂ©phone, par email, en situation de soins, de demande de renseignement, de retour d’expĂ©rience etc. Il n’y a aucune dĂ©marche qui puisse ĂŞtre efficace en termes de communication, d’attraction, de publicitĂ© si cette rĂ©action primale des patients n’est pas comprise et expĂ©rimentĂ©e par l’ensemble des intervenants.

Le développement des personnes

L’idĂ©e qui sous-tend en rĂ©alitĂ© toute dĂ©marche lean est qu’il est impossible de dĂ©velopper un produit ou un service de qualitĂ© sans dĂ©velopper les personnes qui les conçoivent et les exploitent. La vision « idĂ©ale Â» d’une entreprise lean conjugue la passion et l’investissement de l’artisanat et les systèmes, protocoles et rĂ©sultats de l’industrie de masse. Un processus n’est rien d’autre que la somme des individus qui y participent. Dans cette perspective, chaque personne compte, et si l’on suit l’éthique de l’artisanat, un système ou un processus ne sont pas une suite d’étapes mĂ©caniques rĂ©alisĂ©es par l’équipe mais un groupe de professionnels utilisant ces processus et systèmes pour devenir meilleurs, plus efficaces et fournir un produit ou service supĂ©rieur. L’humain est au cĹ“ur de la dĂ©marche lean, qui proscrit la formation de masse au profit de la formation ciblĂ©e, permanente et volontaire. Cette notion de formation individuelle raisonnĂ©e et expliquĂ©e plus qu’inculquĂ©e sans comprĂ©hension du pourquoi est primordiale, le dĂ©veloppement de chaque poste visant ultimement Ă  l’autonomie de l’ensemble des collaborateurs, source de satisfaction des employĂ©s et d’amĂ©lioration des conditions de travail, donc des services fournis, donc de la satisfaction des patients. Au-delĂ  de la formation, cette importance de chaque membre du cabinet, de chaque poste indĂ©pendamment des considĂ©rations hiĂ©rarchiques se retrouvera dans la pratique du Kaizen, pierre angulaire de l’esprit lean, que nous avons Ă©voquĂ©e dans un prĂ©cĂ©dent article sur lequel nous reviendrons, ainsi que dans les diffĂ©rentes mĂ©thodes et outils de rĂ©solution des problèmes et des crises liĂ©s Ă  ce concept.

L’élimination du gaspillage

Ces deux premiers aspects que sont l’acquisition d’une dĂ©marche de terrain, de contact, et la focalisation sur le dĂ©veloppement des idĂ©es et de la qualitĂ© par le dĂ©veloppement des personnes, sont toutefois insuffisants Ă  qualifier seuls une dĂ©marche lean. AmĂ©liorer la qualitĂ© par plus de contrĂ´le ou le respect des dĂ©lais par une augmentation des stocks vont par exemple Ă  l’encontre du troisième Ă©lĂ©ment soutenant le principe lean : l’économie, non en termes de rĂ©duction, mais en termes de suppression du gaspillage au sens large, et ce notamment via une rĂ©duction drastique du lead-time.

Pour la plupart des entreprises, y compris de service, et y compris mĂ©dical ou paramĂ©dical, l’équation qui sous-tend le revenu du travail est gĂ©nĂ©ralement la suivante : PRIX (de la prestation, ou du produit) = COĂ›T + MARGE. Le calcul de base de fixation des tarifs des produits ou prestations est donc en gĂ©nĂ©ral calculĂ© en estimant leur coĂ»t, puis en y ajoutant la marge souhaitĂ©e, en tenant compte de la rĂ©alitĂ© de tout marchĂ© qui veut que c’est en dĂ©finitive le client (ou le patient) qui dĂ©cide quel prix il est prĂŞt Ă  payer pour ce service, entraĂ®nant une philosophie tout entière basĂ©e sur l’attractivitĂ© et la persuasion quitte Ă  rĂ©duire sa marge ou faire grimper le coĂ»t rĂ©el (coĂ»t de base + investissements marketing pour maintenir la marge). Cela explique la plupart des difficultĂ©s des entreprises modernes et surtout une grande part de la nĂ©cessitĂ© exponentielle de dĂ©veloppement et d’augmentation frĂ©nĂ©tique de la productivitĂ© pour simplement maintenir un bĂ©nĂ©fice Ă©gal. Dans un cadre lean, l’équation doit ĂŞtre perçue dans l’autre sens : MARGE = PRIX – COĂ›T. Dans l’approche lean, il est dit qu’on ne dĂ©cide pas du prix d’un produit ou d’un service mais qu’on le dĂ©couvre : et sa fixation, de mĂŞme que le montant de la marge, ne sont pas une fatalitĂ© vague dĂ©pendant « du marchĂ© Â» ou du prix incompressible des Ă©lĂ©ments de bases mais bien le rĂ©sultat de la gestion du coĂ»t rĂ©el (incompressible + superflu ou gaspillage), et ce tant du point de vue financier qu’en termes de temps, de mobilisation de personnel ou d’espace. Il ne sert Ă  rien d’amĂ©liorer un processus qui devrait ĂŞtre supprimĂ© : le management lean, Ă©conomie de moyens au sens propre comme au sens figurĂ©, va donc se concentrer non sur la rĂ©duction des coĂ»ts Ă  proprement parler mais sur la suppression des causes des coĂ»ts non vitaux. La dĂ©marche lean Ă©tant particulièrement cohĂ©rente, cela passe par la rĂ©duction du lead-time, fruit d’une vraie maĂ®trise des gembas et du dĂ©veloppement individuel de chaque membre du personnel, un petit changement Ă  la fois suivant la dĂ©marche du Kaizen.

En rĂ©sumĂ©, aborder le management lean revient donc en premier lieu Ă  cartographier la situation de son cabinet, Ă  s’investir sur le terrain et Ă  se poser les premières bonnes questions pour chaque collaborateur :

– la confirmation : est-il en mesure de savoir s’il fait ou pas du bon travail ? Les critères, les standards de jugement sont-ils dĂ©finis, explicites et aisĂ©ment comprĂ©hensibles ? La rĂ©alitĂ© de son vĂ©cu Ă  ce poste laisse-t-il suffisamment de place Ă  l’autonomie, Ă  la recherche spontanĂ©e d’amĂ©lioration ?

– la surcharge : les exigences et objectifs de ce poste et des processus dont cet employĂ© Ă  la charge sont-ils raisonnables ? Peut-il atteindre et maintenir ce rythme sans forcer ? Est-il en sĂ©curitĂ©, dans son intĂ©gritĂ© physique comme psychologique ou affective ? La rĂ©duction de la charge de travail et de la charge mentale liĂ©e est-elle au cĹ“ur de la systĂ©matisation des tâches plus que le bĂ©nĂ©fice visĂ© ?

– l’instabilitĂ© : le rythme du travail est-il constant et cohĂ©rent ? La durĂ©e d’une mĂŞme tâche est-elle variable, la frĂ©quence irrĂ©gulière, et si oui pour quels motifs, dans quels contextes ?

– les gaspillages : combien de tâches inutiles, ce qui englobe la correction d’erreur, le travail fait en avance qui ne sera finalement pas utilisĂ© ou beaucoup plus tard, ou les dĂ©placements physiques non obligatoires, sont-elles demandĂ©es Ă  cet employĂ© ? Comment cela se fait-il ?

Le lean en tant que système de travail

La dĂ©marche lean pourrait ĂŞtre rĂ©sumĂ©e en une proposition : il s’agit d’apprendre Ă  apprendre. L’apprentissage se fait par un va-et-vient constant entre rĂ©flexion et action. Comprendre un principe est sans intĂ©rĂŞt s’il n’aboutit pas Ă  une application concrète, de mĂŞme qu’implĂ©menter un système ou un processus qui fonctionne ailleurs sans s’interroger sur son principe et sa pertinence dans le gemba rĂ©el concernĂ© est souvent synonyme d’échec et de frustration par dĂ©faut d’ajustement. Les deux questions fondamentales au cĹ“ur du management lean sont Â« pour qui Â» et « par qui Â», autrement dit dans le cadre du cabinet dentaire : Ă  quels patients s’adresse-t-on ? Qui s’adresse au patient et comment ? C’est autour de ces deux questions que s’articulent donc les cinq grands principes du management lean Ă  adapter au gemba de son secteur et de son cabinet particulier, rĂ©uni sous l’acronyme QCDSM : QualitĂ©, CoĂ»t, DĂ©lai, SĂ©curitĂ©, Motivation. L’amĂ©lioration d’un paramètre au dĂ©triment d’un autre n’est pas considĂ©rĂ©e comme un progrès, c’est pourquoi ces paramètres ne sont pas hiĂ©rarchisĂ©s mais doivent ĂŞtre menĂ©s de front.

Sécurité des employés et satisfaction des patients

Le premier principe regroupe deux de ces grands axes car ils sont fondamentalement complĂ©mentaires : la satisfaction des clients (des patients) et la sĂ©curitĂ© (le bien-ĂŞtre) des employĂ©s sont souvent des donnĂ©es qui fonctionnent en miroir et dĂ©pendent l’une de l’autre. Si les principes de prĂ©cautions nĂ©s de l’activitĂ© plutĂ´t industrielle des entreprises Ă  l’origine du lean sont souvent peu pertinents dans le cadre d’une prestation de service sans manipulation ou opĂ©ration d’engins et matĂ©riels dangereux, cet aspect sĂ©curitaire englobe Ă©galement les dangers plus modernes du burn-out, du stress, de la dĂ©pression professionnelle et doivent demeurer au cĹ“ur de la politique managĂ©riale du cabinet. La plupart des problèmes de ce type peuvent ĂŞtre rĂ©solus sans investissement matĂ©riel mais par une simple discipline systĂ©matisĂ©e de l’organisation au travail, facteur sous-estimĂ© de stress, de dĂ©bordement et de perte de motivation (au mieux) ou de marasme (au pire). Le management lean regroupe ces pratiques sĂ©curitaires et organisationnelles sous le concept des 5S :

– Seiri = trier et Ă©liminer ce qui est inutile.

– Seiton = ranger ce qui reste

– Seiso = nettoyer et entretenir

– Seiketsu = standardiser les trois premières pratiques pour en faire un rĂ©flexe et non une activitĂ© sporadique (qui intervient donc lorsqu’il est dĂ©jĂ  trop tard et non comme une constante)

– Shitsuke = monitorer l’application du système, rĂ´le dĂ©volu au management qui doit s’assurer de sa persistance et sa constance.

Attention toutefois, ce type de recommandations doit ĂŞtre compris et intĂ©grĂ© pour ce qu’il est : il ne s’agit jamais de rajouter des contraintes au poste dont l’ergonomie fait l’objet d’une refonte mais bien de l’optimiser au bĂ©nĂ©fice de l’utilisateur concernĂ© !

Ce processus peut Ă©galement logiquement s’appliquer au traitement des rĂ©clamations et insatisfactions des patients. Dans un environnement plus Ă©quilibrĂ© et confortable, un personnel plus investi et dĂ©tendu systĂ©matisera de la mĂŞme façon la prise en compte et la gestion des mĂ©contentements et insuffisances chacun Ă  son poste. Il faut en effet toujours envisager les rĂ©clamations et mĂ©contentements, qu’ils proviennent des patients ou du personnel, non comme des nuisances mais bien comme des chances de corriger des problèmes existants avant qu’ils ne se traduisent par des consĂ©quences plus graves et plus concrètes (perte de patientèle, dĂ©fection des employĂ©s, erreurs mĂ©dicales et leurs consĂ©quences juridiques et administratives…). La dimension humaniste au sens premier du terme (l’humain au centre des prĂ©occupations) du management lean se retrouve dans cet aspect, puisque c’est en comprenant et en expĂ©rimentant les gembas tant des collaborateurs que des patients que l’on peut les comprendre et en tirer les orientations Ă  mettre en place pour les amĂ©liorer et parvenir au centre du schĂ©ma qui sous-tend le concept de lean tout entier :

Le « juste-Ă -temps Â»

Le « juste-Ă -temps Â», notion au cĹ“ur de la production lean, consiste Ă  ne produire (n’apporter) que ce qui est nĂ©cessaire, au moment nĂ©cessaire et en quantitĂ© nĂ©cessaire. Autrement dit, pour rester dans les vĂ©ritĂ©s gĂ©nĂ©rales, le mieux est l’ennemi du bien et l’adage « mieux vaut trop que pas assez Â» est caduc. Les pratiques associĂ©es Ă  cet impĂ©ratif relèvent le plus souvent de la production proprement dite, et visent Ă  limiter les stocks et invendus ainsi que la perte de temps (gaspillage) de fabrication d’élĂ©ments en surnombre (entraĂ®nant une nĂ©cessitĂ© d’investir davantage dans le stockage et l’écoulement de ce surplus). Si cela s’applique difficilement Ă  une prestation de service, l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale est cependant pertinente, puisqu’il s’agit essentiellement d’adapter son offre (et donc le nombre de ses services) aux besoins rĂ©els et exprimĂ©s d’une patientèle ciblĂ©e et aux possibilitĂ©s rĂ©elles du cabinet, sans se disperser et sans vouloir convenir Ă  tout patient potentiel, mais bien Ă  ses patients actuels et Ă  la rĂ©alitĂ© de son marchĂ©. Autrement dit, d’éliminer, d’un point de vue matĂ©riel comme processuel, tout ce qui n’est pas effectivement gĂ©nĂ©rateur de valeur et sollicitĂ© par le patient. Il convient de nuancer l’apprĂ©hension de cette notion dans le cadre d’un service-patient cinq Ă©toiles et d’une expĂ©rience patient optimale : la notion d’inutilitĂ© ne doit pas couvrir les Ă©lĂ©ments, physiques comme relationnels, mis en place pour dĂ©velopper le bien-ĂŞtre, le confort et le plaisir du patient.

L’auto-qualité

L’auto-qualitĂ© est la capacitĂ© d’un processus Ă  dĂ©tecter les dĂ©fauts qu’il produit et Ă  s’arrĂŞter pour les traiter plutĂ´t que de continuer l’opĂ©ration et de passer Ă  l’étape suivante pour les analyser Ă  posteriori. L’auto-qualitĂ© vise Ă  « faire bien du premier coup Â». Cela s’avère particulièrement pertinent du point de vue des soins dentaires, par exemple concernant les soins temporaires devant ĂŞtre rĂ©duits au profit de traitements de fond rĂ©glant le problème plutĂ´t que de le suspendre provisoirement, de la qualitĂ© des soins temporaires maintenus et de leur durĂ©e de vie Ă  optimiser… Les gaspillages, en termes de temps, de produits, de rĂ©putation, de retours patients sur ce poste de rĂ©flexion peuvent s’avĂ©rer immenses et pourront ĂŞtre au centre des premiers chantiers Kaizen mis en place dans le cadre du dĂ©veloppement d’un fonctionnement lean au cabinet. L’idĂ©al de qualitĂ© zĂ©ro-dĂ©faut doit ĂŞtre au cĹ“ur de la politique lean que vous voulez mettre en place, et reprĂ©senter la motivation principale de l’ensemble des participants au processus.

Standards et Kaizen

L’ensemble des notions abordĂ©es jusque lĂ  demeurent dans la sphère conceptuelle et doivent donc ĂŞtre mises en pratique : l’actualisation concrète, mĂ©thodique de ces principes passe par le Kaizen et les divers outils d’analyse qui s’y rapportent, pour une standardisation qualitative des actions et systèmes de gestion.

De façon extrĂŞmement rĂ©sumĂ©e, le Kaizen est la pratique du changement continu, et la mĂ©thode de rĂ©solution des problèmes petite Ă©tape par petite Ă©tape. Elle regroupe divers outils d’analyse tels que le diagramme d’Ishikawa ou les cinq pourquoi, et diverses façons d’aborder l’identification et la rĂ©solution de micro-unitĂ©s de prĂ©occupation sous forme de « chantiers Â» très brefs, concentrĂ©s et multipliĂ©s. Du point de vue philosophique comme pratique, un prĂ©cĂ©dent article dĂ©veloppe plus prĂ©cisĂ©ment les buts et mĂ©thodes du Kaizen et de ses outils principaux, que l’on pourrait rĂ©sumer Ă  un système « analyse – rĂ©flexion – mise en Ĺ“uvre – ajustement Â» auquel participent tous les intervenants, Ă  chaque Ă©tape.

Le lean en tant que principe de gestion

L’entreprise lean est diffĂ©rente : non en sa forme ou son organigramme, ni dans ses moyens d’action ou de gestion, mais dans l’idĂ©al qui la soutient et qui s’impose comme base de dĂ©cision et d’action. Une entreprise lean est en effet consciente de la dimension humaine de son activitĂ© : elle est composĂ©e d’humains qui Ĺ“uvrent pour rĂ©pondre Ă  des besoins humains. De ce constat pragmatique dĂ©coulent toutes ses pratiques, sa gestion, sa communication…

Le leadership comme savoir-faire

En cohĂ©rence avec la tendance collaborative et humaniste des principes lean, le leadership et la recherche de performance dans un tel cadre relèvent en pratique plus du coaching sportif que du management hiĂ©rarchique traditionnel. Le cycle habituel de l’activitĂ© du manager est donc toujours constant :

– Visualiser l’activitĂ© : arpenter physiquement les diffĂ©rents gembas et rendre les objectifs, processus, environnements et conditions de travail visibles pour tous, pour permettre une apprĂ©hension immĂ©diate et intuitive des situations et problèmes par tous.

– Formuler les problèmes : ne pas faire d’hypothèses et dĂ©ductions sur les problèmes du personnel ou leurs raisons mais inviter chacun Ă  formuler explicitement, prĂ©cisĂ©ment, librement et rĂ©gulièrement les difficultĂ©s rencontrĂ©es (ou points d’amĂ©lioration envisagĂ©s)

– Rechercher les causes racines : ne pas se contenter de rĂ©gler les problèmes au coup par coup et en surface mais se pencher, via les divers outils du Kaizen et en Ă©quipe, sur leurs causes profondes et les moyens d’y mettre un terme dĂ©finitif plutĂ´t que de « bricoler Â» Ă  chaque survenance

– Ajuster et systĂ©matiser : le rĂ´le du manager n’est pas d’arbitrairement juger les idĂ©es « bonnes Â» ou « mauvaises Â» mais de permettre aux collaborateurs d’expĂ©rimenter et ajuster leurs propositions, puis de les amener d’eux-mĂŞmes au consensus sur celles Ă  retenir, celles Ă  ajuster et celles qui ne fonctionnent tout simplement pas

Le leadership dans une perspective lean est diffĂ©rent de la perception occidentale que l’on en a gĂ©nĂ©ralement. Le leader lean n’est pas particulièrement charismatique et la notion de pouvoir est absente de sa position hiĂ©rarchique, au bĂ©nĂ©fice de celle de sa responsabilitĂ©. Le leadership lean est une pratique technique, pragmatique et plus logistique qu’autoritaire, qui consiste Ă  Ă©couter, orienter, soutenir plutĂ´t qu’ordonner et dĂ©cider. Les changements de comportement et la collaboration harmonieuse sont le fruit d’une relation et d’un apprentissage qui dĂ©passent le cadre des compĂ©tences. C’est en cela que l’exigence de productivitĂ© et la pression professionnelle actuelle semblent avoir atteint leur limite : on peut former techniquement n’importe quel employĂ© et « l’obliger Â» Ă  faire son travail (par le type de contrat, la rĂ©munĂ©ration, les intĂ©ressements, les sanctions…) mais aucun de ces outils ne peut l’obliger Ă  rĂ©flĂ©chir, Ă  respecter et Ă  aimer son travail et son entreprise. Le leadership lean veut faire de chacun un leader. De mĂŞme le manager est plutĂ´t, comme on l’a dit, un coach en charge de la formation continue de ses Ă©quipes et du dĂ©veloppement de leur confiance et de leur autonomie, de l’organisation logistique de la rĂ©flexion et de la mise en place des solutions dĂ©finies en commun.

Le renouvellement du pacte employĂ©s / entreprise : produire du sens

Au cĹ“ur de la dĂ©marche lean se trouve une vĂ©ritĂ© fondamentale mais trop souvent oubliĂ©e : chaque minute de la vie de chaque personne est prĂ©cieuse et doit ĂŞtre employĂ©e Ă  apporter de la valeur Ă  cette vie. Dans le cadre professionnel, cela ne doit pas s’appliquer qu’au praticien ou au chef d’entreprise : chaque minute de la vie de vos patients, de vos employĂ©s est prĂ©cieuse, et ne devrait pas ĂŞtre gaspillĂ©e Ă  subir ou effectuer des gestes inutiles, chronophages et vides de sens et de valeur. Chacun a besoin de voir sa contribution, mĂŞme mineure, s’inscrire dans un projet ou une vision plus large, de comprendre et de s’inclure dans la valeur que le leader recherche et dĂ©fend. Chaque acte, chaque dĂ©cision doivent ĂŞtre remis dans cette perspective qui doit ĂŞtre claire et instinctive pour tous : l’employĂ© effectue telle tâche non « parce qu’il est payĂ© pour ça Â» ou « parce que son patron l’a ordonnĂ© Â», mais parce qu’elle est bonne pour lui, pour son confort, pour son efficacitĂ©, qui elle-mĂŞme s’inscrit dans sa volontĂ© de faire un bon travail parce qu’il a du sens et non « parce qu’il faut bien faire quelque chose et payer les factures Â». Chaque tâche, mĂŞme brève, mĂŞme peu exigeante, a une valeur et doit ĂŞtre reconnue et optimisĂ©e. De mĂŞme, le patient subit tel acte ou signe tel plan de traitement non parce que le dentiste sait mieux que lui ce qui est bon pour lui ou parce qu’il a Ă©tĂ© manipulĂ© Ă  accepter des soins dont il ne perçoit pas bien la nĂ©cessitĂ©, mais parce qu’il a compris la valeur d’une bonne dentition et d’une hygiène buccale dans sa vie quotidienne et tous les aspects de celle-ci, parce qu’il saisit pleinement qu’il a un problème si tel est le cas et que la solution est rĂ©flĂ©chie avec lui et valable de son point de vue.

Une telle philosophie entraîne au sein du cabinet une sécurité de l’emploi au sens de sécurité immédiate (confort, intégrité physique et mentale) comme au sens de pérennité et de durabilité. La confiance dans la vocation du management est primordiale, les intérêts duquel visent au bien-être des employés et patients avant un résultat financier. La réussite d’un cabinet ou de toute entreprise lean passe par l’implication et l’engagement de tous, par la motivation et l’investissement des équipes au-delà de la simple nécessité ou ambition matérielle.

Les conséquences sur l’organisation

DĂ©finir un leadership non fondĂ© sur l’autoritĂ© et la hiĂ©rarchie mais comme une fonction pĂ©dagogique de formation et d’encouragement a bien Ă©videmment un impact sur la structure gĂ©nĂ©rale et les modes de communication au sein de l’entreprise. Une organisation et un processus d’information lean dĂ©pendront moins de systèmes prĂ©Ă©tablis et figĂ©s mais seront fondĂ©s sur l’interaction et la fluiditĂ© de la communication entre les diffĂ©rentes cellules autonomes. De mĂŞme le suivi (des chiffres, des retours patients, de l’efficacitĂ© des mesures) ne se satisfera pas de retour de donnĂ©es dĂ©sincarnĂ©es mais devra intĂ©grer la vision d’ensemble de la rĂ©alitĂ© de l’activitĂ© et s’interprĂ©ter en commun. Une des consĂ©quences principales de cette approche est le renoncement Ă  un idĂ©al irrĂ©aliste souvent synonyme d’exigences tout aussi irrĂ©alistes, au profit d’un rĂ©el soin apportĂ© aux Ă©lĂ©ments les plus importants. Plus simplement, une entreprise lean ne cherche pas Ă  « tout bien faire Â» mais Ă  « tout mieux faire Â», et Ă  ĂŞtre excellente sur quelques points plutĂ´t que moyennement performante sur tous. C’est une dĂ©marche de perfectionnement plus que d’innovation, laquelle s’appuie sur l’amĂ©lioration des services et structures existants. C’est la primautĂ© de la pratique sur la thĂ©orie.

En conclusion, un cabinet, comme toute entreprise, ne doit pas suivre une stratĂ©gie quelle qu’elle soit seulement en vue d’augmenter sa rentabilitĂ©. Mesurer sa rĂ©ussite uniquement Ă  l’aune de ses revenus est insuffisant Ă  remplir les aspirations profondes de l’homme, dentiste, patient, employĂ©. Cela ne signifie toutefois pas de tomber dans l’excès inverse et de nĂ©gliger sa rentabilitĂ© au profit d’une vocation sociale ou humanitaire, qui ne relève alors plus de l’entreprenariat Ă  proprement parler. La consĂ©quence ultime de l’application sĂ©rieuse du principe lean Ă  son cabinet est bien Ă©videmment, par la gestion des coĂ»ts et gaspillages, la rectification des erreurs, l’optimisation de la rĂ©solution des problèmes, la motivation et l’implication du personnel et la mission de qualitĂ© et de service patient, une augmentation naturelle et presque « accidentelle Â» de sa rentabilitĂ© et des revenus de tous. Mais le lean, notamment en son actualisation pratique le Kaizen, reprend un principe dĂ©jĂ  Ă©voquĂ© : vous n’amĂ©liorez pas l’expĂ©rience patient et les conditions de travail pour gagner de l’argent, mais vous gagnez de l’argent parce que l’expĂ©rience de vos patients et les conditions de travail de vos employĂ©s et collaborateurs sont optimales. Il est possible de rĂ©ussir, quelles que soient les conditions de dĂ©part. Mais plus encore que le vouloir, ce qui est indispensable, c’est parfois de remettre en cause son point de vue et de comprendre et dĂ©finir ce que « rĂ©ussir Â» veut vraiment dire, pour vous et pour votre entreprise, au-delĂ  de l’insuffisance d’une rĂ©ussite matĂ©rielle superficielle.