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(Dossier basé sur l’ouvrage anthologique Le must de la stratégie, préfacé par Gabriel Joseph-Dezaize)

Outre le magazine bimestriel, l’univers Harvard Business Review France comprend des carnets qui proposent aux cadres et aux dirigeants des conseils de management rapides et simples Ă  mettre en Ĺ“uvre, des livres de rĂ©fĂ©rence et des numĂ©ros spĂ©ciaux, les musts, qui dĂ©clinent une thĂ©matique en plusieurs articles rĂ©digĂ©s par les meilleurs experts en management, RH ou stratĂ©gie. Ce premier volet de la sĂ©rie des Cahiers est ainsi consacrĂ© Ă  un sujet crucial pour toutes les entreprises en quĂŞte de sens dans un monde turbulent : la stratĂ©gie. Les articles sĂ©lectionnĂ©s pour ce « must Â» sont huit incontournables pour guider votre rĂ©flexion et prĂ©ciser vos choix stratĂ©giques, toujours aisĂ©ment applicables Ă  l’entreprise-cabinet, rĂ©digĂ©s par les meilleurs spĂ©cialistes de la question, depuis la question fondamentale et finalement pas si simple « Qu’est-ce que la stratĂ©gie ? Â» jusqu’à sa mise en Ĺ“uvre.

II. Construire votre vision d’entreprise (James C. Collins)

James C. Collins est professeur de management et directeur d’un laboratoire d’apprentissage managĂ©rial destinĂ© Ă  la recherche et au conseil de dirigeants. Également professeur d’administration des affaires Ă  l’universitĂ© de Virginie, il est co-auteur de « Bâties pour durer. Les entreprises visionnaires ont-elles un secret ? Â» (First, 1996).

Selon Collins, les sociĂ©tĂ©s prospères ont des valeurs fondamentales et un but fondamental qui restent inchangĂ©s alors que leurs stratĂ©gies et leurs pratiques ne cessent de s’adapter Ă  un monde en constante Ă©volution. PrĂ©server le « cĹ“ur Â» tout en stimulant le progrès, voilĂ  comment des entreprises comme Hewlett-Packard (HP), Merck, Sony ou Motorola sont devenues d’éminentes institutions capables de se rĂ©inventer et d’atteindre des performances toujours meilleures sur le long terme. Les employĂ©s de Hewlett-Packard savent par exemple depuis longtemps que changer radicalement de pratiques opĂ©rationnelles, de normes culturelles ou de stratĂ©gies d’entreprise n’implique pas d’abandonner l’esprit du HP Way (ses principes fondamentaux). Les sociĂ©tĂ©s remarquables savent distinguer ce qui ne doit jamais ĂŞtre modifiĂ© et ce qui doit pouvoir l’être, ce qui est sacrĂ© et ce qui ne l’est pas. Cette aptitude rare Ă  gĂ©rer la continuitĂ© et le changement, qui demande une discipline consciencieuse, est Ă©troitement liĂ©e Ă  la capacitĂ© de dĂ©velopper une vision. La vision sert de guide pour savoir ce qu’il faut prĂ©server et vers quel avenir il faut tendre. Mais le mot « vision Â» est devenu l’un des plus galvaudĂ©s qui soit, Ă©voquant des reprĂ©sentations diffĂ©rentes selon les individus : des valeurs profondĂ©ment ancrĂ©es, des rĂ©alisations exceptionnelles, des liens sociaux, des objectifs stimulants, des forces motivantes ou encore des raisons d’être.

Une vision bien conçue repose sur deux axes : l’idĂ©ologie fondamentale et la projection dans l’avenir. L’idĂ©ologie fondamentale dĂ©signe ce que nous dĂ©fendons et ce pour quoi nous existons. La projection dans l’avenir est ce que nous aspirons Ă  devenir, Ă  accomplir, Ă  crĂ©er, ce qui nĂ©cessite des progrès et d’importants changements pour ĂŞtre rĂ©alisĂ©.

L’idéologie fondamentale

L’idĂ©ologie fondamentale dĂ©finit le caractère durable d’une organisation, c’est-Ă -dire une identitĂ© constante qui transcende les cycles de vie des produits ou des marchĂ©s, les rĂ©volutions technologiques, les tendances managĂ©riales ou les dirigeants du moment. En rĂ©alitĂ©, elle est la contribution la plus significative et la plus persistante de ceux qui ont bâti les entreprises visionnaires. Citons Bill Hewlett, qui dĂ©clarait Ă  propos de David Packard, son partenaire et ami de longue date, juste après son dĂ©cès : « Son legs le plus prĂ©cieux pour l’entreprise est un code de dĂ©ontologie, mieux connu sous le nom de “HP Way”. Â» L’idĂ©ologie fondamentale de HP, qui a guidĂ© la sociĂ©tĂ© depuis sa crĂ©ation en 1939, comprend un grand respect pour l’individu, un dĂ©vouement complet pour fournir qualitĂ© et fiabilitĂ© Ă  un prix abordable, un sens aigu de la responsabilitĂ© communautaire (Packard lui-mĂŞme a lĂ©guĂ© ses 4,3 milliards de dollars d’actions HP Ă  un organisme caritatif) et l’idĂ©e que l’entreprise existe pour contribuer par la technique au progrès et au bien-ĂŞtre de l’humanitĂ©. Les fondateurs d’entreprises tels que David Packard, ou Masaru Ibuka pour Sony, ont compris qu’il est plus important de savoir qui l’on est que de savoir oĂą l’on va, car la destination changera au rythme des Ă©volutions du monde qui nous entoure. Les dirigeants meurent, les produits deviennent obsolètes, les marchĂ©s se transforment, de nouvelles technologies apparaissent, les tendances managĂ©riales vont et viennent… Mais l’idĂ©ologie fondamentale d’une compagnie prospère et persiste en tant que guide et source d’inspiration.

Une vision efficace doit incarner l’idĂ©ologie fondamentale, qui se subdivise elle aussi en deux parties : d’une part les valeurs fondamentales, c’est-Ă -dire un système de principes directeurs, et d’autre part un but fondamental, c’est-Ă -dire la raison d’être absolue de l’organisation.

Les valeurs fondamentales

Ce sont les principes essentiels et durables d’une organisation, un petit ensemble de principes directeurs intemporels qui ne nĂ©cessite aucune justification extĂ©rieure. Elles possèdent une valeur intrinsèque et une importance particulière pour les membres de l’organisation. Les valeurs fondamentales propres Ă  Walt Disney – l’imagination et la biensĂ©ance â€“ n’ont pas Ă©tĂ© dictĂ©es par le marchĂ© mais par son fondateur convaincu qu’elles Ă©taient des qualitĂ©s Ă  cultiver pour elles-mĂŞmes.

Le fait est qu’une grande entreprise décide elle-même des valeurs auxquelles elle tient, en faisant peu de cas de l’environnement actuel, des exigences concurrentielles ou des tendances managériales. Ceci étant dit, il est clair qu’il n’existe aucun système de valeurs fondamentales universellement juste. Une entreprise n’a pas besoin, dans ses valeurs fondamentales, de tout intégrer, de compter le service client (ce n’est pas le cas de Sony par exemple), le respect de l’individu (pas le cas de Disney), la qualité (pas le cas de Walmart) etc. Une société peut aussi se doter de pratiques opérationnelles et de stratégies d’entreprise qui prennent en compte ces atouts sans pour autant les placer au cœur de son existence. Qui plus est, ces entreprises n’ont pas à adopter des valeurs fondamentales humanistes ou largement appréciées, quoiqu’elles soient nombreuses à le faire. Ce qui compte, ce n’est pas la nature des valeurs fondamentales de l’organisation, mais le simple fait qu’elle en ait.

Les entreprises ont tendance Ă  se doter d’un nombre restreint de valeurs fondamentales, en gĂ©nĂ©ral entre trois et cinq. Collins avait d’ailleurs constatĂ© qu’aucune des entreprises visionnaires Ă©tudiĂ©es dans son livre n’en avait plus de cinq : la plupart n’en comptait que trois ou quatre ; seules certaines valeurs peuvent ĂŞtre rĂ©ellement fondamentales, c’est-Ă -dire tellement essentielles et tellement enracinĂ©es qu’elles ne changeront guère, si ce n’est jamais.

Pour identifier les valeurs fondamentales de votre propre cabinet, procĂ©dez Ă  une introspection des plus sincères. Si vous en comptez plus de cinq ou six, il est probable que vous confondiez valeurs fondamentales (immuables) et pratiques opĂ©rationnelles, stratĂ©gies d’entreprise ou normes culturelles (Ă©volutives). Gardez Ă  l’esprit que ces valeurs doivent rĂ©sister Ă  l’épreuve du temps. Après avoir dressĂ© une liste prĂ©liminaire de valeurs fondamentales, demandez-vous pour chacune d’elles si vous la garderiez dans des circonstances oĂą celle-ci pĂ©naliserait l’entreprise. Si vous ne pouvez pas rĂ©pondre, de bonne foi, par l’affirmative, cela signifie que cette valeur n’est pas fondamentale et que vous devriez l’abandonner. Par exemple, une entreprise de haute technologie hĂ©sitait Ă  dĂ©finir la qualitĂ© comme l’une de ses valeurs fondamentales. Le P-DG a posĂ© la question en ces termes : « Supposez que, dans dix ans, la qualitĂ© ne fasse plus la moindre diffĂ©rence sur nos marchĂ©s. Imaginez que la seule chose qui compte soit la vitesse et la puissance. Souhaiterions-nous encore inscrire la qualitĂ© sur notre liste de valeurs fondamentales ? Â» Les membres de la direction ont fini par rĂ©pondre non. La qualitĂ© reste un Ă©lĂ©ment de la stratĂ©gie de l’entreprise, et les programmes d’amĂ©lioration de la qualitĂ© sont maintenus pour stimuler le progrès, mais la qualitĂ© n’avait pas sa place dans la liste des valeurs fondamentales de cette entreprise.

Ceux et celles qui sont impliquĂ©s dans la formulation des valeurs fondamentales doivent rĂ©pondre Ă  plusieurs questions : quelles sont les valeurs fondamentales que vous portez Ă  titre personnel dans votre travail (celles-ci comptent-elles tellement pour vous que vous vous y tiendriez, qu’elles soient rĂ©compensĂ©es ou non) ? Que diriez-vous Ă  vos enfants concernant les valeurs fondamentales que vous portez au travail, et que vous espĂ©rez qu’ils porteront une fois adultes ? Si vous vous rĂ©veilliez demain matin avec suffisamment d’argent pour partir Ă  la retraite sur-le-champ, continueriez-vous Ă  honorer ces valeurs ? Pouvez-vous les imaginer aussi pertinentes pour vous dans un siècle qu’aujourd’hui ? Envisagez-vous de conserver ces valeurs fondamentales, mĂŞme si une ou plusieurs d’entre elles devenaient un dĂ©savantage concurrentiel ? Si vous vous apprĂŞtiez Ă  crĂ©er une nouvelle organisation demain, dans une tout autre branche, quelles valeurs fondamentales lui insuffleriez-vous indĂ©pendamment du secteur d’activitĂ© ?

Les trois dernières questions sont particulièrement importantes, car elles permettent de tracer une frontière déterminante entre les valeurs impérissables qui ne doivent pas changer et les pratiques et stratégies à adapter en permanence.

Le but fondamental

Second élément de l’idéologie fondamentale, il est la raison d’être de l’organisation. Un but efficace reflète les motivations idéales des employés pour travailler dans l’entreprise. Il ne se résume pas au rendement ou à la clientèle cible de l’entreprise, il saisit l’âme même de l’organisation au-delà de l’appât du gain.

Le but (qui devrait rester valable au moins cent ans) ne doit pas ĂŞtre confondu avec des objectifs spĂ©cifiques ou des stratĂ©gies commerciales (amenĂ©s Ă  changer plusieurs fois en un siècle). Alors qu’un objectif ou une stratĂ©gie peuvent Ă©ventuellement ĂŞtre accomplis, il est impossible de rĂ©aliser un but fondamental. Il est comme une Ă©toile qui vous guide Ă  l’horizon : toujours poursuivi mais jamais atteint. MĂŞme si le but lui-mĂŞme ne change pas, il doit inspirer le changement. Le fait mĂŞme que le but ne puisse pas ĂŞtre atteint implique que l’organisation ne doit jamais cesser de stimuler le changement et le progrès.

Lorsqu’elles cherchent Ă  identifier leur but, certaines entreprises font l’erreur de se contenter de dĂ©crire leurs lignes de produits actuelles ou leurs segments de clientèle. La raison d’être de Hewlett-Packard n’est pas de fabriquer des instruments Ă©lectroniques d’essais et de mesure, mais d’apporter sa contribution technique Ă  l’amĂ©lioration de la vie des gens ; ce qui a menĂ© l’entreprise bien loin de son mĂ©tier d’origine d’instrumentier Ă©lectronique. Imaginez un instant que Walt Disney ait choisi comme but principal de produire des dessins animĂ©s plutĂ´t que de rendre les gens heureux : nous n’aurions probablement pas connu Mickey Mouse, ni Disneyland.

Il existe une mĂ©thode efficace pour identifier le but d’une organisation : les cinq pourquoi. Partez du constat « Nous fabriquons les produits X Â» ou « Nous fournissons les services Y Â», puis demandez-vous « Pourquoi est-ce important ? Â» cinq fois de suite. Après quelques pourquoi, vous arriverez Ă  mettre le doigt sur le but fondamental de l’entreprise.

Collins s’est par exemple servi de cette mĂ©thode pour approfondir et enrichir une discussion avec un cabinet d’études de marchĂ© Ă  propos de son but. La direction s’était rĂ©unie pendant plusieurs heures et avait Ă©laborĂ© la dĂ©claration d’intention suivante : « Fournir les meilleures donnĂ©es d’études de marchĂ© disponibles. Â» Il leur a alors posĂ© cette question : « Pourquoi est-il important de fournir les meilleures donnĂ©es disponibles ? Â» Après discussion, ils ont Ă©noncĂ© un but au sens plus profond : « Fournir les meilleures donnĂ©es d’études de marchĂ© disponibles afin que nos clients comprennent mieux leurs marchĂ©s que s’ils n’avaient pas ces informations Ă  disposition. Â» Après un nouveau « Pourquoi est-ce important ? Â», les dirigeants se sont rendu compte que leur estime de soi ne tenait pas tant Ă  la meilleure comprĂ©hension qu’ils fournissaient Ă  leurs clients qu’à la contribution qu’ils apportaient Ă  leur rĂ©ussite. Cette introspection a finalement conduit le cabinet Ă  dĂ©finir son but de la façon suivante : « Contribuer Ă  la rĂ©ussite de nos clients en les aidant Ă  comprendre leurs marchĂ©s. Â» Avec cet objectif Ă  l’esprit, le cabinet Ă©labore dĂ©sormais ses offres en se demandant non pas « Cela se vendra-t-il ? Â», mais plutĂ´t « Cela contribuera-t-il Ă  la rĂ©ussite de nos clients ? Â»

Il apparaĂ®t de façon limpide qu’aucun but fondamental ne se rĂ©duit Ă  « maximiser la richesse des actionnaires ou du fondateur Â». Le but fondamental a pour rĂ´le premier de guider et d’inspirer. Maximiser la richesse du patron n’inspire personne, Ă  aucun niveau hiĂ©rarchique, et guide fort peu. Maximiser la richesse, c’est le but de base Ă  disposition des entreprises qui n’ont pas encore identifiĂ© leur vĂ©ritable but fondamental. Ce n’est qu’un pis-aller, et il est bien faible.

Lorsque les membres de grandes organisations parlent de leurs rĂ©alisations, ils mentionnent rarement le bĂ©nĂ©fice par action (BPA). Chez Motorola, les gens Ă©voquent les impressionnantes avancĂ©es qualitatives et l’impact de leurs produits sur le monde. Chez Hewlett-Packard, on parle des contributions techniques apportĂ©es au marchĂ©. Lorsqu’une ingĂ©nieure de Boeing prĂ©sente le lancement d’un nouvel appareil rĂ©volutionnaire, elle ne dit pas « s’être donnĂ©e corps et âme Ă  ce projet parce qu’il pourrait faire grimper le BPA de 37 centimes Â».

L’une des mĂ©thodes qui permettent de dĂ©couvrir quel but se cache derrière la simple maximisation de la richesse des actionnaires ou du fondateur est le jeu du « tueur en sĂ©rie d’entreprises Â». Voici les règles : supposez que vous puissiez vendre votre cabinet Ă  un prix jugĂ© plus que raisonnable. Supposez Ă©galement que l’acheteur garantisse un emploi stable Ă  chaque collaborateur avec la mĂŞme fourchette de salaires après l’acquisition, sans pour autant assurer que ces emplois soient dans le mĂŞme secteur d’activitĂ© (par exemple, achat du cabinet par un avocat, avec conservation des postes administratifs et d’accueil aux mĂŞmes conditions). Supposez enfin que l’acheteur projette de « tuer Â» le cabinet après acquisition : ses activitĂ©s seraient arrĂŞtĂ©es, son nom jetĂ© aux oubliettes, et l’activitĂ© mĂ©dicale remplacĂ©e par un cabinet d’avocat. Votre cabinet cesserait purement et simplement d’exister. Accepteriez-vous cette offre ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui serait perdu si le cabinet mettait la clĂ© sous la porte ? En quoi est-il important qu’il continue d’exister ? Cet exercice aide les managers les plus intraitables, très attachĂ©s aux projections financières, Ă  rĂ©flĂ©chir aux raisons d’être profondes de leur entreprise.

Plus elles avanceront dans le XXIe siècle, plus les entreprises, y compris dans le secteur de la santĂ©, devront mobiliser l’énergie crĂ©ative et les talents de leurs employĂ©s. En effet, mĂŞme dans ce secteur pourtant par essence tournĂ© vers l’humain, pourquoi ceux-ci devraient-ils s’y donner entièrement ? Comme Peter Drucker l’a fait remarquer, les meilleurs Ă©lĂ©ments, les plus dĂ©vouĂ©s, sont en fait les bĂ©nĂ©voles, car ils ont la possibilitĂ© de faire autre chose de leur vie. Face Ă  une population de plus en plus mobile, au cynisme croissant Ă  l’égard du monde du travail et Ă  l’augmentation du nombre d’entrepreneurs dans notre Ă©conomie, les entreprises doivent plus que jamais avoir pleinement conscience de leur but afin de donner du sens Ă  leur activitĂ© et ainsi attirer, motiver et retenir les profils hors normes.

Découvrir l’idéologie fondamentale

Vous ne crĂ©ez ni ne dĂ©finissez une idĂ©ologie fondamentale. Vous la dĂ©couvrez. Vous ne la devinez pas en observant votre environnement extĂ©rieur. Vous la comprenez en cherchant en vous-mĂŞme. L’idĂ©ologie doit ĂŞtre authentique. Vous ne pouvez la feindre. DĂ©couvrir l’idĂ©ologie fondamentale n’est pas un exercice intellectuel. Ne vous demandez pas « Quelles valeurs fondamentales devrions-nous dĂ©fendre ? Â» ; demandez-vous plutĂ´t : « Quelles sont les valeurs fondamentales que nous dĂ©fendons avec passion et sincĂ©ritĂ© ? Â» Ne confondez pas les valeurs que vous pensez que l’organisation doit avoir – mais qu’elle n’a pas â€“ avec les valeurs fondamentales authentiques. D’un tel amalgame naĂ®trait une forme de cynisme qui s’étendrait Ă  toute l’entreprise (« De qui se moque-t-on ? Tout le monde sait que ce n’est pas une valeur partagĂ©e ici ! Â»). Vos aspirations vont davantage de pair avec votre projection dans l’avenir ou votre stratĂ©gie qu’avec l’idĂ©ologie fondamentale. Toutefois, les valeurs fondamentales authentiques qui ont faibli au fil du temps peuvent avoir une place lĂ©gitime dans l’idĂ©ologie fondamentale – dans la mesure oĂą vous admettez qu’il vous faudra travailler dur pour les raviver.

Par ailleurs, le rôle de l’idéologie fondamentale est de guider et d’inspirer, pas de singulariser. Deux sociétés peuvent parfaitement avoir les mêmes valeurs et les mêmes buts fondamentaux.

L’idĂ©ologie fondamentale n’a besoin d’être porteuse de sens et d’inspiration que pour les membres de l’organisation ; il n’est pas nĂ©cessaire qu’elle plaise Ă  l’extĂ©rieur. Pourquoi ? Parce que seuls les membres de l’organisation doivent se conformer Ă  son idĂ©ologie sur le long terme. L’idĂ©ologie fondamentale peut aussi permettre de distinguer entre ceux qui font effectivement partie de l’organisation et les autres. Une idĂ©ologie claire et bien formulĂ©e attire des candidats dont les valeurs personnelles sont compatibles avec les valeurs fondamentales de l’entreprise. Elle rebutera ceux dont les valeurs sont incompatibles. Vous ne pouvez pas imposer de nouvelles valeurs ou un but Ă  vos collaborateurs. Vous ne pouvez pas non plus les inciter Ă  y adhĂ©rer. Les dirigeants demandent souvent : « Comment faire en sorte que nos employĂ©s partagent notre idĂ©ologie fondamentale ? Â» Il n’y a rien Ă  faire. Vous ne pouvez pas. Trouvez plutĂ´t des individus enclins Ă  partager vos valeurs fondamentales et votre but. Attirez-les et retenez-les. Et laissez partir ceux qui ne les partagent pas. D’ailleurs, le processus mĂŞme de formulation de l’idĂ©ologie fondamentale peut provoquer le dĂ©part de certains salariĂ©s, qui se rendent compte qu’ils ne sont pas en adĂ©quation avec l’essence de l’entreprise. Saluez ces dĂ©parts. Il est bien sĂ»r bĂ©nĂ©fique de rĂ©unir autour de l’idĂ©ologie fondamentale des individus diffĂ©rents et des points de vue variĂ©s, mais ceux qui portent les mĂŞmes valeurs et le mĂŞme but ne se ressemblent pas forcĂ©ment, ni ne pensent forcĂ©ment de la mĂŞme manière.

Ne confondez pas l’idĂ©ologie fondamentale et les dĂ©clarations d’idĂ©ologie fondamentale. Une entreprise peut ĂŞtre dotĂ©e d’une forte idĂ©ologie fondamentale sans dĂ©claration formelle. Par exemple, Nike n’a pas Ă©noncĂ© de dĂ©claration formelle au sujet de son but fondamental. Mais, manifestement, Nike possède bien un but fondamental puissant, qui a gagnĂ© toute l’entreprise : vivre l’émotion de la compĂ©tition, gagner, et Ă©craser ses concurrents. Nike possède un campus qui ressemble plus Ă  un sanctuaire de l’esprit de compĂ©tition qu’à un complexe de bureaux. Des photographies gĂ©antes des hĂ©ros Nike couvrent les murs, des plaques en bronze aux noms des athlètes Nike sont accrochĂ©es le long de leur « Walk of Fame Â», des statues Ă  leur effigie bordent la piste d’athlĂ©tisme qui entoure le campus, et les bâtiments portent le nom de grands champions comme la lĂ©gende du basket-ball Michael Jordan, ou le joueur de tennis John McEnroe. Les salariĂ©s de Nike qui ne se sentent animĂ©s ni par l’esprit de compĂ©tition ni par un sentiment de fĂ©rocitĂ© ne font pas de vieux os dans cet environnement. MĂŞme le nom de la sociĂ©tĂ© Ă©voque l’esprit de compĂ©tition : Nike (en fait, NikĂ©) est la dĂ©esse grecque de la Victoire. Ainsi, bien qu’elle ne l’ait pas explicitĂ© formellement, Nike possède de toute Ă©vidence un objectif affirmĂ©.

Identifier des valeurs et un but n’est donc pas un exercice de plume. En rĂ©alitĂ©, au cours de son existence, une organisation formule diverses dĂ©clarations pour dĂ©crire son idĂ©ologie fondamentale. Dans les archives de Hewlett-Packard, Collins a dĂ©nichĂ© plus d’une demi-douzaine de versions du HP Way, rĂ©digĂ©es par David Packard entre 1956 et 1972. Les diffĂ©rentes versions avançaient toutes les mĂŞmes principes, seuls les termes utilisĂ©s variaient selon l’époque et les circonstances. Les valeurs sont les mĂŞmes, seuls les mots changent.

Il vous faut donc mettre l’accent sur le fond, c’est-à-dire saisir l’essence de vos valeurs et de votre but. Il ne s’agit pas de coucher sur papier une déclaration parfaite mais de comprendre précisément quels sont le but et les valeurs de votre organisation, qui peuvent être exprimés de mille et une façons. En réalité, une fois les fondamentaux identifiés, Collins suggère aux dirigeants de formuler leurs propres déclarations et de les partager avec leurs équipes.

Enfin, ne confondez pas idĂ©ologie fondamentale et cĹ“ur de mĂ©tier. Le cĹ“ur de mĂ©tier est un concept stratĂ©gique qui dĂ©termine les capacitĂ©s de votre organisation (ce pour quoi vous ĂŞtes particulièrement douĂ©), alors que l’idĂ©ologie fondamentale incarne ce que vous dĂ©fendez et votre raison d’être. Les cĹ“urs de mĂ©tier devraient rejoindre l’idĂ©ologie fondamentale de l’entreprise, et ils y sont d’ailleurs souvent enracinĂ©s, mais ce n’est pas la mĂŞme chose. Par exemple, le cĹ“ur de mĂ©tier de Sony est la miniaturisation, un atout qui peut ĂŞtre adaptĂ© stratĂ©giquement Ă  un large Ă©ventail de produits et de marchĂ©s. Cependant, son idĂ©ologie fondamentale n’est pas la miniaturisation. Il se peut mĂŞme que la miniaturisation ne fasse plus partie de la stratĂ©gie de Sony d’ici un siècle. Mais pour rester une grande entreprise, elle devra conserver les valeurs fondamentales dĂ©crites dans le Sony Pioneer Spirit et sa raison d’être : faire avancer la technologie dans l’intĂ©rĂŞt du grand public. Dans une entreprise visionnaire telle que Sony, les cĹ“urs de mĂ©tier changent au fil des dĂ©cennies, pas l’idĂ©ologie fondamentale.

Une fois que votre idĂ©ologie fondamentale est clairement dĂ©terminĂ©e, sentez-vous libre de modifier tout ce qui n’en fait pas partie. Dès lors, lorsque quelqu’un s’opposera Ă  un changement sous prĂ©texte que « C’est dans notre culture Â» ou que « Nous avons toujours fait ça comme ça Â», ou tout autre argument de la sorte, il vous suffira d’invoquer cette règle simple : si ce n’est pas fondamental, cela peut ĂŞtre changĂ©. Mais exprimer l’idĂ©ologie fondamentale n’est qu’un premier pas. Vous devez Ă©galement dĂ©terminer vers quel type de progrès vous souhaitez vous diriger.

La projection dans l’avenir

Le second axe d’un système visionnaire est la projection dans l’avenir. Il se compose de deux parties : un objectif audacieux sur dix Ă  trente ans et une description vivante du chemin pour atteindre cet objectif.

Un « Bhag Â» porteur de vision

Collins a constatĂ© dans ses recherches que les entreprises visionnaires se choisissent souvent des missions ambitieuses – ce qu’il appelle Bhag pour « Big Hairy Audacious Goal Â», « grand objectif audacieux Â» en français â€“ comme moyens de favoriser le progrès. Toutes les entreprises ont des objectifs. Mais il existe une diffĂ©rence entre avoir un simple objectif et s’engager dans un dĂ©fi de taille, telle l’ascension du mont Everest, par exemple. Un vĂ©ritable Bhag est limpide et captivant. Il permet de concentrer les efforts de chacun dans une seule et unique direction et sert de catalyseur Ă  l’esprit d’équipe. Cette mission a une ligne d’arrivĂ©e prĂ©cise, ce qui permet Ă  l’entreprise de savoir quand elle a atteint son objectif. Les gens aiment avoir une ligne d’arrivĂ©e en tĂŞte. Un Bhag les attire, leur tend la main et les agrippe. Il est tangible, motivant et extrĂŞmement ciblĂ©. On le comprend immĂ©diatement, il nĂ©cessite peu d’explications, voire aucune. Prenez la course Ă  la Lune de la Nasa dans les annĂ©es 1960 : il n’a pas fallu recourir Ă  une armada de communicants passant d’interminables heures Ă  Ă©laborer un Ă©noncĂ© de mission verbeux dont personne ne pourrait se souvenir. L’objectif lui-mĂŞme Ă©tait si facile Ă  apprĂ©hender – il Ă©tait si captivant en soi â€“ qu’il aurait pu ĂŞtre formulĂ© de cent manières diffĂ©rentes tout en restant facilement compris de tous. La plupart des Ă©noncĂ©s de missions d’entreprises que Collins a Ă©tudiĂ© ne poussent guère Ă  aller de l’avant, car ils ne contiennent pas le puissant mĂ©canisme d’un Bhag.

Quoiqu’une organisation puisse avoir simultanĂ©ment plusieurs Bhag Ă  diffĂ©rents niveaux, la vision nĂ©cessite une catĂ©gorie particulière de Bhag : un Bhag porteur de vision qui s’applique Ă  l’ensemble de l’entreprise et nĂ©cessite entre dix et trente ans d’efforts pour ĂŞtre atteint. Fixer un Bhag Ă  si long terme suppose de se projeter au-delĂ  des capacitĂ©s et de l’environnement actuels de l’organisation. Une telle dĂ©marche pousse en effet l’équipe dirigeante Ă  ĂŞtre visionnaire, et non pas seulement stratĂ©gique ou tactique. Un Bhag n’est pas censĂ© ĂŞtre un pari sĂ»r (le taux de rĂ©ussite devrait se situer entre 50 % et 70 %), mais l’organisation doit ĂŞtre convaincue qu’elle peut quand mĂŞme y arriver. Un Bhag est supposĂ© exiger des efforts considĂ©rables et peut-ĂŞtre mĂŞme une petite dose de chance.

Une description vivante

Outre un Bhag porteur de vision, une projection dans l’avenir nĂ©cessite ce que Collins appelle une description vivante, c’est-Ă -dire une description vibrante, sĂ©duisante et prĂ©cise du chemin permettant d’atteindre le Bhag. Pensez Ă  une traduction en images de la vision, des images mentales qui pourront se graver dans la mĂ©moire des individus. Il s’agit de peindre un tableau Ă  l’aide de mots. Cette mise en image est essentielle pour qu’un Bhag Ă  10–30 ans soit palpable et marque les esprits. Par exemple, Henry Ford a su concrĂ©tiser son objectif de dĂ©mocratisation de l’automobile avec la description vivante qui suit : « Je construirai une automobile pour le plus grand nombre… Elle sera si abordable qu’aucun homme gagnant un salaire correct ne sera dans l’incapacitĂ© d’en possĂ©der une et de profiter avec sa famille d’heures bĂ©nies dans les grands et magnifiques espaces crĂ©Ă©s par Dieu… Lorsque j’en aurai terminĂ©, chacun pourra s’en offrir une et chacun en aura une. Le cheval aura disparu de nos routes et l’automobile sera tenue pour acquise… [et nous donnerons] Ă  un grand nombre d’hommes un emploi au salaire correct. Â»

Dans les annĂ©es 1930, le Bhag de Merck, alors fabricant de produits chimiques, Ă©tait de se mĂ©tamorphoser en leader mondial de l’industrie pharmaceutique, avec des capacitĂ©s de recherche rivalisant avec n’importe quelle grande universitĂ©. Lors de l’inauguration du centre de recherche de Merck en 1933, George Merck a dĂ©crit sa projection dans l’avenir de la façon suivante : « Nous croyons que des travaux de recherche menĂ©s avec patience et persĂ©vĂ©rance incarneront un renouveau pour l’industrie et le commerce ; et nous sommes convaincus que, dans ce nouveau laboratoire, Ă  l’aide des instruments que nous avons fournis, la science avancera, le savoir progressera et la vie humaine se libĂ©rera toujours plus de la souffrance et de la maladie… Nous nous engageons Ă  apporter notre aide pour que cette entreprise mĂ©rite la foi que nous avons en elle. Que votre lumière brille : que ceux qui recherchent la VĂ©ritĂ©, que ceux qui s’évertuent Ă  rendre ce monde meilleur, que ceux qui brandissent cette torche de science et de savoir en ces temps sombres pour la sociĂ©tĂ© et l’économie, prennent leur courage Ă  deux mains et se sentent soutenus. Â»

La passion, l’émotion et la conviction sont des ingrĂ©dients essentiels de cette description vivante. Certains dirigeants sont mal Ă  l’aise avec l’idĂ©e de partager les Ă©motions liĂ©es Ă  leurs rĂŞves, mais c’est ce qui motive les troupes. Winston Churchill l’avait bien compris lorsqu’il avait dĂ©crit le Bhag de la Grande-Bretagne en 1940. Il ne s’était pas contentĂ© d’un : « Vainquons Hitler Â». Il avait prĂ©fĂ©rĂ© : « Hitler sait qu’il doit nous battre sur cette Ă®le ou alors il perdra la guerre. Si nous arrivons Ă  lui rĂ©sister, toute l’Europe sera libre et le monde pourra avancer vers de vastes terres ensoleillĂ©es. Mais si nous Ă©chouons, le monde entier, y compris les États-Unis d’AmĂ©rique, y compris tout ce que nous avons connu et chĂ©ri, sombrera dans l’abĂ®me d’un nouvel âge des tĂ©nèbres, que les lumières d’une science pervertie auront rendu plus sinistre encore et peut-ĂŞtre bien plus long. Alors prĂ©parons-nous Ă  accomplir notre devoir avec la conviction que, si l’Empire britannique et le Commonwealth doivent vivre encore mille ans, les hommes diront toujours : “Ce fut leur heure de gloire”. Â»

Collins conclut sur un certain nombre de points-clef sur l’application des concepts Ă©voquĂ©s :

  • Ne confondez pas idĂ©ologie fondamentale et projection dans l’avenir, et plus particulièrement but fondamental et Bhag. Les dirigeants emploient souvent l’un pour l’autre, en mĂ©langeant les concepts ou en en parlant indistinctement. Le but fondamental, qui n’est pas un objectif spĂ©cifique, est la raison d’être de l’organisation. Un Bhag est un objectif clairement explicitĂ©. Le but fondamental est impossible Ă  atteindre, tandis qu’un Bhag est rĂ©alisable sur 10 Ă  30 ans. Imaginez-vous le but fondamental comme une Ă©toile Ă  l’horizon Ă  poursuivre Ă©ternellement et un Bhag comme une montagne Ă  gravir. Une fois le sommet atteint, vous passez Ă  d’autres monts Ă  escalader.
  • L’identification de l’idĂ©ologie fondamentale est un processus exploratoire, alors que la dĂ©finition de la projection dans l’avenir est un processus crĂ©atif. Les dirigeants peinent souvent Ă  proposer des Bhag enthousiasmants. Ils veulent penser leur avenir de manière analytique. Collins s’est rendu compte que certains d’entre eux font davantage de progrès en commençant par la description vivante, sur laquelle s’appuyer ensuite pour formuler un Bhag. Cette approche consiste Ă  se poser d’abord des questions telles que : si nous sommes toujours lĂ  dans vingt ans, qu’aimerions-nous voir ? Ă€ quoi devrait ressembler cette entreprise ? Comment devrait-elle ĂŞtre perçue par ses employĂ©s ? Que devrait-elle avoir accompli ? Si un grand magazine Ă©conomique publie un article Ă  notre sujet dans vingt ans, qu’y lira-t-on ?
  • Chercher Ă  analyser la justesse d’une projection dans l’avenir n’a aucun sens. Quand on crĂ©e – car il s’agit bien de crĂ©er un avenir, et non de le prĂ©dire â€“ il n’y a pas de bonne ou de mauvaise rĂ©ponse. Beethoven a-t-il crĂ©Ă© la bonne « Neuvième Symphonie Â» ? Shakespeare a-t-il crĂ©Ă© le bon « Hamlet Â» ? Il est impossible de rĂ©pondre Ă  ces questions, elles sont absurdes. La projection dans l’avenir implique en revanche des interrogations essentielles comme « Nous donne-t-elle de l’énergie ? Est-elle stimulante ? DĂ©clenche-t-elle un Ă©lan ? SĂ©duit-elle les collaborateurs ? Â» La projection dans l’avenir doit ĂŞtre si exaltante en soi qu’elle devrait suffire Ă  maintenir l’organisation motivĂ©e mĂŞme si ceux qui l’ont Ă©laborĂ©e Ă©taient amenĂ©s Ă  disparaĂ®tre.
  • Qu’en est-il de l’échec d’une projection dans l’avenir ? Les recherches ont montrĂ© que les entreprises visionnaires font preuve d’une remarquable capacitĂ© Ă  atteindre mĂŞme leurs objectifs les plus audacieux. Ford a bien dĂ©mocratisĂ© l’automobile. Boeing est bien devenu le leader de l’aĂ©ronautique. Par contre, d’autres entreprises rĂ©fĂ©rentes n’ont souvent pas rĂ©ussi Ă  rĂ©aliser leurs Bhag – si tant est qu’elles s’en soient fixĂ©. Cette diffĂ©rence n’est pas due Ă  la difficultĂ© des objectifs choisis : les entreprises visionnaires ont tendance Ă  avoir des ambitions encore plus audacieuses que les autres. Elle n’est pas due non plus Ă  un leadership charismatique et avant-gardiste : les entreprises visionnaires ont souvent accompli leurs Bhag sans dirigeants hors du commun Ă  leur tĂŞte. Elle ne tient Ă©galement pas Ă  une meilleure stratĂ©gie : les entreprises visionnaires ont souvent atteint leurs objectifs grâce Ă  un processus organique se rĂ©sumant Ă  « essayer plein de choses et garder ce qui fonctionne Â» plutĂ´t qu’en suivant des plans stratĂ©giques minutieusement prĂ©parĂ©s. La clĂ© de leur succès a Ă©tĂ© de considĂ©rer le dĂ©veloppement des atouts de leur organisation comme le premier moyen d’élaborer leur avenir.
  • Enfin, en ce qui concerne la projection dans l’avenir, prenez garde Ă  ne pas sombrer dans le syndrome « nous y sommes arrivĂ©s Â», une complaisance lĂ©thargique qui se manifeste lorsqu’une organisation parvient Ă  atteindre un Bhag et n’arrive pas Ă  lui trouver de successeur. La Nasa en a souffert après la rĂ©ussite de sa mission originelle : après s’être posĂ© sur la Lune, que peut-on faire de plus grandiose ? Ford en a aussi pâti après ĂŞtre parvenu Ă  dĂ©mocratiser l’automobile : le constructeur n’a pas rĂ©ussi Ă  se fixer un nouvel objectif de mĂŞme envergure et a ainsi donnĂ© l’opportunitĂ© Ă  General Motors de le devancer dans les annĂ©es 1930. Une projection dans l’avenir vient en aide Ă  une organisation tant qu’elle n’est pas rĂ©alisĂ©e. Dans son travail auprès des entreprises, Collins relève rĂ©gulièrement des propos du type : « Ce n’est plus aussi palpitant qu’autrefois. Nous semblons avoir perdu notre Ă©lan. Â» En règle gĂ©nĂ©rale, une remarque de ce genre rĂ©vèle que l’organisation a gravi une montagne mais n’en a toujours pas choisi une autre.

De nombreux dirigeants se dĂ©mènent avec leurs Ă©noncĂ©s de mission et de vision. Malheureusement, la plupart de ces Ă©noncĂ©s s’avèrent ĂŞtre un charabia informe de valeurs, d’objectifs, de buts, de philosophies, de croyances, d’aspirations, de normes, de stratĂ©gies, de pratiques et de descriptions. Plus problĂ©matique encore, elles sont rarement liĂ©es Ă  la dynamique fondamentale des entreprises visionnaires : prĂ©server le cĹ“ur et stimuler le progrès. Cette dynamique, et non les Ă©noncĂ©s de vision ou de mission, constitue le principal moteur des entreprises durables. La vision fournit simplement le cadre permettant de donner vie Ă  cette dynamique. Construire une entreprise visionnaire demande 1 % de vision et 99 % de cohĂ©rence.

Instaurer cette cohérence est sans doute votre tâche la plus importante.