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Synthèse de « Comment gérer les personnalités difficiles » de François Lelord et Christophe André, éditions Odile Jacob, 2000
Notre profession nous amène inévitablement à rencontrer des personnalités difficiles, et ce ne sont pas forcément celles-ci qui consultent des psys. 10 à 15% de la population générale ont des personnalités difficiles. La psychiatrie ne s’intéresse à eux que depuis peu, car ces patients sont difficiles à soigner.
Dans le langage courant, « personnalité » et « caractère » se confondent : il s’agit des manières habituelles dont un individu se perçoit, perçoit son environnement, se comporte et réagit. Il faut par contre différencier trait (caractéristique constante) de caractère, état passager, trait de personnalité et état.
Depuis l’Antiquité, on cherche à classer les individus. A la classification d’Hippocrate (sanguin/lymphatique/bilieux/mélancolique) succède en 1925 celle d’Ernst Kretschmer (pycnique/leptosome/athlétique/dysplasique). Dans les deux cas, c’est très restrictif.
L’approche dimensionnelle de la personnalité (contrairement à l’approche catégorielle) consiste à appréhender les qualités (ou caractéristiques) d’un individu. C’est le champ de la psychométrie (approche quantitative de la personnalité). L’un des pionniers de cette science fut R. B. Catell, qui appliqua la statistique à la psychologie et aboutit à isoler 16 traits de personnalité (les 16PF) :
- en retrait/sociable
- moins intelligent/plus intelligent
- instable Ă©motionnellement/stable Ă©motionnellement
- soumis/dominant
- réservé/enthousiaste
- opportuniste/consciencieux
- timide/sans inhibition
- endurant/délicat
- confiant/méfiant
- pratique/imaginatif
- franc/sournois
- placide/appréhensif
- conservateur/radical
- dépendant/indépendant
- manquant de contrôle/maître de soi
- décontracté/tendu
On évalue chaque individu par une note, entre ces deux caractéristiques extrêmes.
Le test le plus utilisé au monde est le MMPI (Minnesota Multiphasic Personality Inventory), de Hattaway et Makinley. Modernisée par Eysenck, la méthode classe les personnalités selon deux grands axes : un axe introversion/extraversion et un axe neuroticisme (anxiété, tristesse, remords)/stabilité. Eysenck rajoute une troisième dimension : le psychoticisme (froideur, agressivité, impulsivité, égocentrisme). L’inconvénient de la méthode d’Eysenck est qu’elle ne permet pas de faire des différenciations assez fines des personnalités à problèmes.
Robert Cloninger a proposé une autre méthode, qui différencie 7 composantes de la personnalité. Ces 7 dimensions comprennent 4 dimensions de tempérament (recherche de la nouveauté, évitement de la punition, dépendance à la récompense et persistance) et 3 dimensions de caractère. Ces dernières, influencées par des expériences éducatives, sont l’autocontrôle (capacité à se fixer des buts), la coopération (empathie, altruisme…) et l’autotranscendance (sensation d’appartenance au monde, vision plus spiritualiste que matérialiste). Avec ce modèle, tout est scientifiquement vérifiable. Mais il sera probablement remplacé un jour, comme tous les vrais modèles scientifiques.
Une personnalité est difficile quand certains traits de caractère sont trop marqués, figés, inadaptés aux situations ou entraînant une souffrance (pour soi-même ou autrui).
Ici, on a opté pour un choix de douze grands types de personnalités difficiles. Il s’agit de les identifier, de les comprendre et d’accepter leur existence pour mieux s’en protéger.
Chapitre 1 : les personnalités anxieuses
La personnalité anxieuse se soucie avec excès ou trop fréquemment des risques de la vie quotidienne pour elle-même ou ses proches. Sa tension physique est souvent excessive. Elle guette en permanence tout ce qui pourrait mal tourner et cherche à contrôler des situations à faible risque. Pour elle, « le monde est un endroit dangereux où une catastrophe peut toujours arriver ». C’est sa première croyance. Mais là où un dépressif ferait le dos rond, l’anxieux cherche à contrôler la situation. Sa deuxième croyance est en effet que « en faisant très attention, on peut empêcher la plupart des incidents ou accidents ». Le « système d’alarme » de ces personnes est un peu trop sensible. L’avantage avec ces personnes, c’est qu’elles sont souvent très consciencieuses dans le travail. L’inconvénient, c’est que, toujours sur le qui-vive, elles souffrent et se fatiguent.
Vous avez des traits de personnalité anxieuse si penser à des soucis vous empêche souvent de dormir, si risquer de rater votre train vous angoisse beaucoup, si on vous reproche souvent de vous faire du souci pour tout, si vous remplissez toujours vos obligations (factures, impôts etc.) au plus vite, si vous imaginez l’accident à chaque fois que quelqu’un est en retard, si vous vérifiez plusieurs fois horaires de trains, réservations et heures de rendez-vous, si vous vous rendez souvent compte a posteriori que vous vous êtes fait trop de souci, si vous vous sentez parfois obligé.e de prendre un tranquillisant dans la journée, si vous avez des palpitations quand vous êtes surpris ou si vous êtes parfois tendu.e sans savoir pourquoi.
L’anxiété peut devenir une maladie : c’est le trouble anxieux généralisé. Aux soucis excessifs ou injustifiés s’ajoutent une hyperactivité du système nerveux végétatif, une tension musculaire et une exploration hypervigilante de l’environnement. Psychothérapies (surtout cognitives et comportementales) et médicaments (anxiolytiques et/ou antidépresseurs) sont alors nécessaires, ces traitements pouvant aussi être administrés à une personnalité anxieuse sans trouble anxieux généralisé.
Les causes de l’anxiété n’étant pas bien connues, il est difficile de traiter autre chose que les symptômes. L’hérédité semble jouer un rôle, de même que la fréquence des ruptures, déménagements, deuils, changements de travail etc. Nous conseillons de consulter trois thérapeutes d’écoles différentes avant d’en choisir un. La psychanalyse ne nous semble pas forcément indiquée.
L’anxiété (en cas d’examen, de prise de parole en public etc.) est une émotion normale qui peut être soit un stimulant (on se prépare bien à la situation), soit un frein (on évite la situation). Les anxieux existent parce qu’ils sont parmi ceux qui ont le plus survécu à la sélection naturelle (dans l’approche évolutionniste). Dans une équipe, l’anxieux peut être le garde-fou.
Pour gérer une personnalité anxieuse, il faut montrer qu’on est fiable, l’aider à relativiser, pratiquer un humour gentil (ne pas se moquer), et l’inciter à consulter. Il ne faut pas se laisser mettre en esclavage, la surprendre, lui faire partager inutilement nos propres sujets d’inquiétude et éviter les sujets de conversation pénibles. Quand on a un patron anxieux, il faut devenir pour lui un signal rassurant. Si nos collègues ou collaborateurs sont anxieux, sachons utiliser leurs qualités de prévision et de préparation.
Chapitre 2 : les personnalités paranoïaques
La personnalité paranoïaque est méfiante : elle suspecte les autres de mauvaises intentions à son égard, elle reste toujours sur ses gardes et très attentive à ce qu’il se passe autour d’elle. Elle ne se confie pas, est suspicieuse. Elle met en doute la loyauté des autres, même de ses proches. Elle est souvent jalouse. Elle recherche activement et dans le détail les preuves de ses soupçons, sans tenir compte de la situation d’ensemble. Elle est prête à des représailles disproportionnées si elle se sent offensée. Elle est préoccupée par ses droits et les questions de préséance et se sent facilement offensée. C’est aussi une personne rigide qui se montre rationnelle, froide, logique, et résiste fermement aux arguments des autres. Elle a du mal à montrer tendresse et émotions positives, et a peu d’humour.
Son axiome de base est « Le monde est plein de filous et de méchants qui m’obligent à rester toujours sur mes gardes ». Les dictateurs (comme Staline, Hitler ou François Duvalier –« Papa Doc »- par exemple) sont des personnalités paranoïaques. Selon les ennemis qu’ils se choisissent, les paranoïaques sont des héros ou des criminels. Ils font en tout cas souvent l’Histoire.
Les personnalités « sensitives », qui ont un sentiment de faiblesse personnelle, ont une forme discrète de paranoïa : elle se sentent facilement menacées par les autres. Elles sont méfiantes, susceptibles et d’humeur triste.
Vous avez des traits de personnalité paranoïaque si vous supportez mal qu’on fasse des plaisanteries à votre égard, si vous vous êtes déjà définitivement brouillé.e avec plusieurs personnes parce que vous estimiez qu’elles s’étaient mal conduites à votre égard, si vous avez tendance à vous méfier des nouvelles connaissances, si vous croyez qu’« on a souvent plus d’ennemis que ce qu’on pense », si vous avez peur que ce que vous confiez à quelqu’un se retourne contre vous, si on vous reproche d’être méfiant.e, si vous pensez que pour s’en tirer dans la vie il faut être dur et inflexible, si vous vous dites que c’est par intérêt qu’on donne l’air de vous apprécier, si vous pensez souvent à tous ceux que vous aimeriez punir pour leurs mauvaises actions… et si la lecture même de ce paragraphe vous met mal à l’aise.
Traitement neuroleptique ou antidépresseur et psychothérapie peuvent être d’un grand secours. Hélas, les personnes atteintes ne se considèrent presque jamais comme malades.
La paranoïa est utile lorsqu’il faut être inflexible dans l’application de la loi (policier, juge…), quand il faut défendre ses droits dans un conflit, quand il faut faire face à des adversaires potentiellement retors et dangereux (police, douane, services antiterroristes…). Mais elle devient maladie quand elle dépasse le stade de l’interprétation erronée et verse dans le délire de persécution.
Face à une personnalité paranoïaque, il faut exprimer clairement ses motifs et intentions, respecter scrupuleusement les formes, maintenir un contact régulier, faire référence aux lois et règlements, lui laisser quelques petites victoires choisies et chercher des alliances ailleurs. Il ne faut pas renoncer à éclaircir les malentendus, attaquer l’image qu’elle a d’elle-même (il faut critiquer le comportement, pas la personne elle-même), se mettre en faute, la médire (elle le saura), discuter politique. Il ne faut pas non plus devenir paranoïaque soi-même.
Si on a un chef paranoïaque dont on ne peut pas changer, mieux vaut jouer les serviteurs fidèles. Si ce sont nos collègues ou nos collaborateurs, il est conseillé de se protéger juridiquement.
Chapitre 3 : les personnalités histrioniques
« Histrionique » vient du latin histrio, « acteur de théâtre ». Ces personnalités cherchent à attirer l’attention des autres et supportent mal les situations où elles ne sont pas l’objet de l’attention générale. Elles recherchent intensément l’affection de leur entourage. Elles dramatisent l’expression de leurs émotions, lesquelles changent très rapidement. Leur discours, manquant de précision et de détails, est de type émotionnel, évoquant des impressions. Elles ont tendance à idéaliser ou au contraire à dévaluer exagérément les personnes de leur entourage. Elles sont peu douées pour l’auto-observation et se trompent souvent sur la nature de leurs émotions. Elles paraissent souvent captivantes, mais leurs changements d’humeur, leurs démonstrations excessives d’émotions et leur soif d’attention finissent souvent par lasser.
Vous avez des traits de personnalité histrioniques si le regard des autres vous stimule, si on vous reproche parfois de « faire votre cinéma », si vous êtes facilement ému.e, si vous adorez séduire (même sans aller plus loin), si vous pensez que pour être aidé.e il faut charmer, si vous vous sentez mal à l’aise dans un groupe où personne ne fait attention à vous, si vous avez tendance à tomber amoureux de personnes distantes ou inaccessibles, si vous vous habillez de façon trop excentrique ou provocante, si vous vous évanouissez parfois dans les situations embarrassantes ou si vous vous demandez souvent quel effet vous produisez sur autrui.
Avant 1980, dans la classification américaine DSM-III des troubles psychologiques, on parlait de « personnalité hystérique » (du grec husteros, utérus). Freud a bâti les fondements de sa théorie d’après les observations de ses patientes « hystériques ». Jusqu’au XIXème siècle, on parlait de « fureur utérine » et on attribuait ce type de personnalité (besoin de plaire, humeur changeante, recherche d’aide) aux femmes. Le terme « hystérique » est aujourd’hui devenu insultant. Hommes comme femmes peuvent avoir des personnalités histrioniques, même si les femmes sont plus nombreuses (deux tiers contre un). Mais le contexte culturel joue aussi : à côté d’un Suédois, un Italien du sud paraît « histrionique »…
Acteurs, avocats, hommes politiques, publicitaires et gens de médias sont souvent des histrioniques.
Pour gérer les personnalités histrioniques, il faut tout d’abord s’attendre à de l’excès et à de la dramatisation, et à passer soi-même du statut de héros à celui de minable. On peut leur laisser « une scène » de temps en temps, mais en fixant des limites. Il faut leur témoigner de l’intérêt quand elles se comportent normalement. Il ne faut pas se moquer d’elles, se laisser émouvoir par leurs tentatives de séductions (souvent superficielles) et ne pas se laisser trop attendrir. Si votre collègue ou votre collaborateur est un histrionique, gardez vos distances : il vous idéalisera. Si c’est votre patron, restez vous-mêmes, même s’il vous demande le contraire.
Chapitre 4 : les personnalités obsessionnelles
La personnalité obsessionnelle est perfectionniste : elle est exagérément attentive aux détails, aux procédures, au rangement et à l’organisation, souvent au détriment du résultat final. Elle est obstinée : têtue, elle insiste obstinément pour que les choses soient faites comme elle l’entend et selon les règles. Elle peine à exprimer des émotions chaleureuses. Elle est souvent très formelle, froide et embarrassée froideur relationnelle). Elle a du mal à prendre des décisions par peur de commettre une erreur. Elle tergiverse et ratiocine exagérément. Extrêmement consciencieuse et scrupuleuse, elle fait preuve d’une très grande rigueur morale. Pour elle, « Tout irait mieux si on respectait les règles », « Si quelque chose n’est pas parfait à 100%, c’est l’échec complet » et « Les gens ne sont pas fiables, il faut toujours vérifier ce qu’ils font ».
Vous avez des traits de personnalité obsessionnels si vous passez beaucoup de temps à ranger et à vérifier, si vous aimez exposer vos idées dans l’ordre dans une conversation, si on vous reproche d’être trop perfectionniste, s’il vous est déjà arrivé de rater quelque chose parce que vous étiez trop concentré.e sur les détails, si vous supportez très mal le désordre, si dans un travail d’équipe vous avez tendance à vous sentir responsable du résultat final, si les cadeaux vous mettent mal à l’aise et vous donnent l’impression de vous sentir en dette, si on vous reproche d’être pingre, si vous avez du mal à jeter les choses et si vous aimez tenir votre comptabilité personnelle.
Les obsessions peuvent devenir de vraies maladies : le TOC (Trouble obsessionnel compulsif), qui astreint les personnes atteintes à des rituels de rangement, de lavage et de vérifications et à des pensées obsédantes involontaires assorties sur ces thèmes (propreté, perfection, culpabilité). L’obsession devient TOC quand obsessions et rituels dépassent une heure par jour. Attention, la plupart des personnalités obsessionnelles ne souffrira jamais de TOC, et entre 50 et 80% des patients atteints de TOC n’ont pas des personnalités obsessionnelles.
Les antidépresseurs agissant sur la sérotonine sont efficaces contre les TOC (et même pour aider les personnalités obsessionnelles n’ayant pas de TOC). Si le patient souffre, que le médicament est efficace sur lui et que le patient est bien informé des avantages et des inconvénients du traitement, il ne faut pas s’en priver. S’ils sont associés à une thérapie comportementale, c’est encore mieux.
La société devenant de plus en plus obsessionnelle, les obsessionnels y ont leur place. Dans une équipe de travail, la présence d’un obsessionnel bien choisi est la garantie de la qualité du résultat final.
Pour gérer les personnalités obsessionnelles, il faut leur montrer que leur sens de l’ordre et de la rigueur est apprécié, respecter leur besoin de prévoir et d’organiser, leur faire des critiques précises et quantifiées quand elles vont trop loin, se montrer fiable et prévisible, leur faire découvrir les joies de la détente et leur donner des tâches à leur mesure, où leurs « défauts » seront des qualités. Par contre, il ne faut pas ironiser sur leurs manies, se laisser entraîner dans leur système et ne pas non plus les embarrasser de trop de signes d’affection, de reconnaissance ou de cadeaux.
Si votre collègue ou votre collaborateur est un obsessionnel, chargez-le des contrôles et des finitions, et annoncez-lui à l’avance la durée des entretiens.
Chapitre 5 : les personnalités narcissiques
La personnalité narcissique a le sentiment d’être exceptionnelle et de mériter plus que les autres. Elle est préoccupée par des ambitions de succès éclatant dans tous les domaines (professionnel, amoureux). Elle est souvent très soucieuse de son apparence physique et vestimentaire. Dans ses relations avec les autres, elle s’attend à des attentions et des privilèges, mais ne se sent pas obligée de rendre la pareille. Elle éprouve colère et rage lorsqu’on ne lui accorde pas les privilèges qu’on attend. Elle exploite les autres pour atteindre ses buts. Elle éprouve peu d’empathie et est peu touchée par les émotions d’autrui. Les croyances fondamentales sont « Je suis un être exceptionnel, plus méritant que les autres ; tout le monde me doit le respect. » et « Les règles ordinaires ne s’appliquent pas aux gens comme moi ». A ce titre, la conduite automobile est un bon révélateur de personnalités narcissiques.
On a des traits de caractère narcissique si on pense avoir plus de charme que la moyenne des gens, si on pense que tout ce que l’on a obtenu vient de nos mérites, si on aime recevoir des compliments, si on se sent facilement jaloux.se des réussites des autres, s’il nous est déjà arrivé de tricher sans aucune gêne, si on ne supporte pas qu’on nous fasse attendre, si on pense mériter d’arriver très haut professionnellement, si on s’énerve facilement quand on nous manque d’égards, si on adore bénéficier de privilèges et de passe-droits et si on supporte mal d’obéir aux règles faites pour tout le monde.
Beaucoup de célébrités (et de commerciaux) sont des personnalités narcissiques. En effet, elles ont confiance en elles, n’ont pas de scrupules et n’ont pas peur d’échouer.
Mais à force de vouloir toujours plus, les narcissiques deviennent insupportables. Les amoureux narcissiques poussent leurs partenaires à bout, les patrons narcissiques (surtout dans les PME) provoquent rancoeurs et démotivation. Les narcissiques, quand ils n’atteignent pas les ambitions de leur jeunesse, souffrent plus que les autres de « la crise du milieu de vie ».
Pour les gérer, il faut montrer son approbation à chaque fois qu’ils sont sincères, leur expliquer les réactions des autres, respecter scrupuleusement les usages et les formes, ne faire que les critiques indispensables, être très précis, être discret sur ses propres réussites et privilèges. Il ne faut pas faire de l’opposition systématique, être vigilant aux tentatives de manipulation, ne jamais accorder les faveurs que l’on ne voudra pas renouveler et ne pas s’attendre à du donnant-donnant. Avec un patron narcissique, il ne faut pas mettre son amour-propre en jeu et prendre du recul. Avec un collègue ou collaborateur narcissique, il faut faire attention à ce qu’il ne nous prenne pas notre place.
Chapitre 6 : les personnalités schizoïdes
Elles semblent souvent impassibles, détachées, difficiles à deviner, indifférentes aux compliments ou aux critiques des autres. Elles choisissent surtout des activités solitaires. Elles ont peu d’amis intimes, et ces amis se recrutent souvent dans le cercle familial. Elles ne recherchent pas spontanément la compagnie des autres et ne se lient pas facilement. Leur croyance de base est « Les rapports avec les autres sont imprévisibles, fatigants, source de malentendus, et mieux vaut les éviter ». Le narrateur de L’étranger de Camus est un célèbre schizoïde, de même que Clint Eastwood et Charles Bronson dans la plupart de leurs films.
On a des traits de personnalité schizoïde si on éprouve le besoin impérieux d’être seul après une journée passée en compagnie de gens, si on a parfois du mal à comprendre les réactions des autres, si faire de nouvelles connaissances ne nous attire pas spécialement, s’il nous arrive d’être « ailleurs » ou dans la lune même en compagnie d’autres personnes, si les fêtes données en notre honneur nous fatiguent plus qu’elles ne nous font plaisir, si nos loisirs sont surtout solitaires, si, hors cercle familial, on n’a pas plus d’un ou deux amis, si le regard des autres nous importe peu et si on n’aime pas les activités de groupe.
Il faut respecter le besoin de solitude du schizoïde, lui proposer des situations à sa mesure, être à l’écoute de son monde intérieur et l’apprécier pour ses qualités silencieuses. Il ne faut pas exiger de lui qu’il exprime des émotions intenses, ne pas l’assommer par des conversations trop longues, mais ne pas non plus le laisser s’isoler complètement. Professionnellement, le schizoïde est meilleur expert que manager. Si vous devez dire quelque chose à un patron schizoïde, mieux vaut lui faire passer une note écrite qu’aller le voir.
Chapitre 7 : les comportements de Type A
Les Type A luttent contre le temps : impatients, soucieux d’aller toujours plus vite, ils compriment le maximum de choses à faire en un temps limité. Souvent soucieux d’exactitude, ils sont intolérants à la lenteur des autres. Ils ont le sens de la compétition : ils veulent toujours « gagner », même dans les situations anodines de la vie courante, la conversation et les loisirs. Ils s’engagent dans l’action : ils travaillent beaucoup, prennent leurs activités à cœur et transforment leurs loisirs en tâches orientées vers un but. « Pour le Type A, tout conflit est une guerre nucléaire » (Ethel Roskies). Les Type A veulent arriver à contrôler toutes les situations et réussir tout ce qu’ils entreprennent. Les Type A sont impliqués dans l’action, productifs, ambitieux, combatifs, respectés pour leur travail, mobilisateurs, énergiques. Ils réussissent leurs promotions, et leurs carrières en général.
On a des comportement de Type A si on n’aime pas être inactif, même en vacances, si on s’énerve souvent contre les gens trop lents, si les proches se plaignent qu’on travaille trop, si on a un sens de la compétition très développé, si on a tendance à surcharger son emploi du temps, si on mange trop vite, si on supporte mal d’attendre, si on est toujours en train de penser à ce que l’on va faire « après », si on a plus d’énergie que la moyenne des gens et qu’on se sent souvent pressé.e par le temps. Les Type A manquent de recul (ce qui les fait parfois stagner), ont du mal à ralentir, sacrifient leur vie familiale (les conflits conjugaux sont fréquents), sont conflictuels, autoritaristes et décourageants pour les autres.
Le problème, c’est le stress (et ses trois composantes, psychologique, physiologique et comportementale) infligé à l’organisme. Le stress du Type A est plus intense, plus prolongé et plus fréquent que la moyenne. Plus il avance en âge, moins bien il récupère et plus il risque la « surchauffe » et les problèmes de santé (notamment cardiaques). Relaxation, entraînement à la communication, travail sur les pensées, diététique appropriée, arrêt du tabac, exercice physique régulier et loisirs réguliers sont conseillés aux Types A. On peut vérifier que le stress baisse par la baisse du rythme cardiaque et de la tension artérielle.
Avec les Type A, il faut être fiable et exact, s’affirmer chaque fois qu’ils tentent de nous mettre sous contrôle. Il faut les aider à relativiser et leur faire découvrir les joies de la détente. Il ne faut ni négocier avec eux « à chaud », ni se laisser entraîner dans des compétitions inutiles, ni dramatiser les conflits avec eux. Avec un chef Type A, il s’agit de gagner le respect par l’efficacité, mais de ne pas le laisser nous imposer son rythme. Avec un collègue ou collaborateur type A, il s’agit de le ralentir avant qu’il ne craque ou ne nous supplante.
Chapitre 8 : les personnalités dépressives
Ces personnalités sont pessimistes : elles voient avant tout le côté sombre et les risques possibles des situations, minimisent le positif et surévaluent le négatif. Elles sont d’humeur triste et morose, même en l’absence d’événements défavorables. Elles souffrent d’anhédonie : elles éprouvent peu de plaisir, même dans les activités ou situations habituellement considérées comme agréables (loisirs, événements heureux). A force de ne pas éprouver de plaisir, elles ne parviennent même pas à l’anticiper. Pratiquant l’autodévalorisation, elles ne se sentent pas à la hauteur. Elles se sentent inaptes ou coupables, même si les autres les complimentent. Elles se répètent « Je ne suis pas à la hauteur », « Le monde est dur et injuste » et « Les choses vont mal tourner » : c’est la « triade dépressive » d’A.T. Beck (1979).
On a des traits de personnalité dépressifs si on croit moins aimer la vie que la plupart des gens, si parfois on préférerait n’avoir jamais existé, si on nous reproche souvent de voir les choses en noir, s’il nous est déjà arrivé de ne ressentir aucune joie dans des situations pourtant heureuses, si on a parfois l’impression d’être un fardeau pour ses proches, si on se sent facilement coupable, si on a tendance à ruminer ses échecs passés, si on se sent souvent inférieur.e aux autres, si on est souvent fatigué.e et sans énergie et si on remet à plus tard ses loisirs, alors même qu’on aurait le temps et les moyens d’en profiter au moment présent.
Si le trouble dépressif dure plus de deux ans, il est appelée « dysthymie ». La moitié des dysthymies commence avant 25 ans et dure indéfiniment. La dysthymie touche deux fois plus les femmes que les hommes. Elle est souvent aussi associée aux personnalités dépendantes ou évitantes.
Hérédité et éducation (trop stricte et culpabilisante) se conjuguent pour créer des personnalités dépressives. Psychothérapies (d’orientation psychanalytique, cognitives ou interpersonnelles) et antidépresseurs (même s’il faut parfois du temps pour trouver le bon et qu’ils ne font pas effet avant 3 semaines) sont utiles, mais hélas ces personnalités les rejettent souvent : pour elle, leur état ne relève pas d’une maladie mais de leur simple « caractère » ; tant qu’elles arrivent à se maintenir à flot dans la vie, elles ne voient pas où est le problème ; elles croient au pouvoir de la « volonté » ; elles ne croient ni à la médecine ni à la psychologie en ce qui les concerne ; elles sont tellement habituées à se sentir mal qu’elle n’arrivent même pas à imaginer qu’elles pourraient se sentir bien ; elles se revalorisent elles-mêmes en se donnant une image de « dure au mal » ; et leurs difficultés leur donnent quelques compensations (attention de l’entourage, culpabilisation des enfants qui ne viennent pas les voir…).
Pour gérer une personnalité dépressive, il faut, par des questions, attirer son attention sur le positif (« Oui, ton nouvel emploi va être un peu stressant au début, mais il va aussi être plus intéressant, non ? »), l’entraîner dans des activités agréables et à sa mesure, lui montrer notre considération et l’inciter à consulter. Il ne faut par contre surtout pas lui dire de se secouer, lui faire la morale ou se laisser entraîner sans son marasme. Avec un patron dépressif, il s’agit de vérifier soi-même régulièrement la santé de l’entreprise. Collègues et collaborateurs dépressifs doivent être complimentés à chaque fois qu’ils sont positifs.
Chapitre 9 : les personnalités dépendantes
Elles ont besoin d’être rassurées et soutenues par les autres : elles sont réticentes à prendre des décisions sans réassurance et laissent souvent les autres prendre ces décisions importantes pour elles. Elles ont du mal à initier des projets (suivant plutôt le mouvement), elles n’aiment pas se retrouver seules, ou faire des choses seules. Elles craignent également la perte de lien : elles disent toujours « oui » par peur de déplaire, sont blessées ou anxieuses si on les critique ou si on les désapprouve, acceptent des besognes ingrates pour se rendre agréables aux autres et sont très perturbées par les ruptures. Quand elles rencontrent de nouvelles personnes ou de nouveaux groupes, elles passent par trois phases : une phase d’accrochage (elles font des efforts pour qu’on les accepte), une phase « heureuse » de dépendance (elles se reposent sur le groupe en lui faisant prendre les décisions à leur place) et une phase de vulnérabilité (elles prennent conscience de leur dépendance et se mettent à angoisser en pensant à ce qui arriverait si la relation s’arrêtait). Pour elles, « On n’arrive à rien si on est seul » et « Les autres sont plus forts que nous-mêmes et, s’ils sont bienveillants, ils peuvent nous aider ». Le dépendant est convaincu qu’il ne peut pas être autre chose qu’un suiveur, un « porteur d’eau ».
Ont des traits de personnalité dépendante ceux qui demandent l’avis des autres avant de prendre des décisions importantes, ceux qui ont du mal à terminer les conversations ou à prendre congé, ceux qui ont souvent des doutes sur leur valeur, ceux qui suivent le mouvement (et ne proposent que rarement des activités, sujets de conversation ou idées), ceux qui ont besoin de pouvoir compter sur des personnes très proches, ceux qui sont capables de se sacrifier pour les autres, ceux qui cachent souvent leurs opinions par peur des conflits, ceux qui n’aiment pas perdre les gens de vue ou s’en séparer, ceux qui sont très sensibles aux désaccords et aux critiques et ceux à qui on dit souvent qu’ils méritent mieux que ce qu’ils ont.
Obélix et le capitaine Haddock, personnages de bande dessinée, ont de nombreux traits de personnalité dépendante.
La dépendance fait partie de la nature humaine, et l’opposition dépendance/autonomie arrive très tôt au cœur du psychisme humain. Il faut lire à ce sujet les ouvrages de Michael Balint, qui distingue l’« ocnophilie » (nous ne pouvons pas satisfaire nos besoins seuls mais nous pouvons obtenir des autres qu’ils nous y aident) et le « philobatisme » (le monde est décevant et dépendre des autres est le pire danger qui soit). En littérature, Dom Juan est, avec les femmes, un philobate, alors que Tristan (envers Iseut et le roi Marc) est un ocnophile.
Facteurs biologiques, attitudes parentales (parents insécurisants ou surprotecteurs), attitudes éducatives et événements de vie (séparations prolongées avec l’un des deux parents, ou les deux) favoriseraient les personnalités dépendantes.
Parfois, la dépendance se cantonne à un domaine (par exemple, la vie sentimentale). Elle induit parfois aussi la complaisance (qui cache un besoin affectif intarissable).
Au stade pathologique, la dépendance pose comme problème les exigences importantes du sujet envers son entourage. Les dépendants « choisissent » souvent des conjoints également pathologiques, dominateurs et agressifs. Et à force de se persuader qu’ils ne sont rien sans les autres, les dépendants finissent effectivement, à force d’éviter les initiatives, les risques et les conflits, par le devenir.
Si votre patron est un dépendant, devenez son indispensable bras droit… et demandez une augmentation. Si c’est votre collègue ou collaborateur, renvoyez-le gentiment à ses responsabilités.
Chapitre 10 : les personnalités passives-agressives
Une personnalité passive-agressive résiste habituellement aux exigences des autres dans les domaines professionnel ou personnel. Elle discute exagérément les ordres et critique les figures d’autorité. De manière détournée, elle est volontairement inefficace : elle fait traîner les choses, boude, « oublie » et se plaint (d’être incomprise, méprisée ou injustement traitée). Pour elle, « se soumettre est une défaite » et « on risque trop à dire ce que l’on pense ».
On a des traits de personnalité passifs-agressifs si on pense que la plupart des chefs ne méritent pas de l’être et si on leur en veut en permanence, si on supporte mal d’avoir à obéir à quelqu’un, s’il nous est souvent arrivé de laisser traîner voire de saboter volontairement un travail parce qu’on en voulait à la personne qui nous l’avait demandé, si on nous reproche de bouder (ou si on ne donne plus signe de vie à un proche après une dispute), s’il nous est arrivé de ne pas aller à une réunion en prétextant après coup ne pas avoir été mis au courant de l’horaire, si on ne fait que ce que l’on nous demande gentiment, si on ralentit proportionnellement à ce qu’on nous presse.
Nous pouvons tous avoir occasionnellement des comportements passifs-agressifs (surtout à l’adolescence), mais les personnalités véritablement passives-agressives sont plus difficiles à repérer.
En entreprise, ce comportement est quasiment suicidaire. Si votre patron est un passif-agressif, changez d’entreprise avant qu’il ne vous entraîne dans sa chute.
Pour composer avec ce type de personnalité, il faut être aimable, lui demander son avis chaque fois que c’est possible, l’aider à s’exprimer directement et lui rappeler les règles du jeu. Il ne faut surtout pas feindre de ne pas remarquer son opposition, ne pas la critiquer comme le ferait un parent et ne pas se laisser entraîner dans le jeu des représailles réciproques.
Chapitre 11 : les personnalités évitantes
Une personnalité évitante est hypersensible : elle a peur du ridicule, peur d’être critiquée ou moquée. Elle évite d’entrer en relation avec les gens tant qu’elle n’est pas assurée de leur bienveillance inconditionnelle. Elle évite les situations où elle craint d’être blessée ou embarrassée (nouvelles rencontres, poste en vue, développement d’une relation intime). Elle a une faible estime d’elle-même, sous-évalue ses capacités et dévalorise ses résultats. Par peur de l’échec, elle se maintient dans un rôle effacé, ou à des postes inférieurs à ses capacités. Elle pense « Je suis inférieure » et « Au contact des autres, je pourrais être blessée ».
Ces personnalités sont de deux types : certains évitants sont « simplement » de grands anxieux, et d’autres sont en plus très susceptibles. Ce qui différencie les deux se joue probablement dans l’enfance, au niveau de la relation avec les parents.
Quand la personnalité évitante devient maladie, la phobie sociale (qui diffère de l’anxiété sociale « normale » éprouvée par tous dans certaines situations) guette. L’individu éprouve une anxiété intense, et évite systématiquement certaines situations. La crainte d’être jugé et rejeté est permanente.
On a des traits de personnalité évitants si on refuse des invitations par peur de se sentir mal à l’aise, si on est plus souvent choisi.e par ses amis que l’inverse, si on préfère souvent se taire par peur de dire des choses inintéressantes, si on préfère ne plus jamais revoir quelqu’un devant qui on a été ridicule, si on est moins à l’aise en société que la plupart des gens, si par timidité on a manqué plusieurs occasions dans sa vie personnelle et professionnelle, si on ne se sent à l’aise qu’en famille ou avec de vieux amis, si on a souvent peur de décevoir, de paraître inintéressant, si on trouve très difficile d’engager la conversation avec une nouvelle connaissance, si on consomme parfois alcool ou anxiolytiques pour se sentir mieux avant de rencontrer des gens.
Comme dans tous les autres cas, la génétique et les expériences éducatives sont en cause, mais la part de l’acquis et de l’inné est difficile à déterminer. Par contre, ce type de personnalité se soigne assez bien : les antidépresseurs (surtout le Prozac) sont souvent efficaces. Mais ils peuvent augmenter l’anxiété et ne dispensent pas toujours d’une psychothérapie.
Avec les personnalités évitantes, il faut proposer des objectifs de difficulté très progressifs, leur montrer que leur avis nous importe et que l’on accepte la contradiction. Si on veut les critiquer, il faut commencer par les complimenter, et, dans la critique, ne cibler qu’un comportement. Il faut les assurer de la constance de notre soutien et les inciter à consulter. Il ne faut ni ironiser à leur propos ni s’énerver, et ne pas non plus les laisser se dévouer pour toutes les corvées.
Les patrons Ă©vitants se retrouvent principalement dans les administrations publiques.
Chapitre 12 : les autres personnalités
Il existe des formes mixtes de personnalité : la personnalité narcissique-histrionique par exemple cumule le comportement théâtral et séducteur de l’histrionique avec le sentiment de supériorité et la susceptibilité du narcissique. Ce type de personnage de « diva » est fréquent dans les séries sentimentales américaines, friandes de scènes de séduction et de disputes impitoyables. La personnalité évitante-dépendante est également fréquente.
Mais d’autres types de personnalité difficiles existent. Ces personnalités sont à éviter.
La personnalité antisociale (ou sociopathe) rejette les règles et les lois de la vie en société, est impulsive, et ressent très peu (voire jamais) de culpabilité. Les sociopathes ont le contact facile et sont souvent drôles, mais instabilité et inconséquence dominent. La devise est « Si tu as envie de quelque chose, prend-le tout de suite ! » Ils sont parfois séducteurs, convaincants. Cette personnalité est trois fois plus fréquente chez les hommes que chez les femmes. Certains milieux encouragent ces tendances. Les hommes antisociaux sont souvent en couple avec des femmes dépendantes, car ce sont les seules à supporter leurs frasques. Beaucoup de prisonniers de droit commun ont des personnalités sociopathes. Les sociopathes sont très appréciés au cinéma. Dans la vie, beaucoup moins.
La personnalité borderline se caractérise par une humeur très instable, de la colère au vide. Elle vit en état de crise quasi permanente. Avec leur entourage, les personnalités borderline alternent demandes d’amour et d’aide envahissantes et fuites brutales. Leur image d’elles est incertaine, elles ne savent pas de quoi elles ont besoin. Elles changent souvent de caps (sentimentaux, professionnels…), ont souvent des conduites à risque. De toutes les personnalités difficiles, ce sont celles qui ont le taux de suicide le plus élevé. Beaucoup ont subi des violences ou des abus sexuels pendant l’enfance. On trouve souvent aussi du stress post-traumatique. Le thérapeute doit impérativement trouver avec elles la bonne distance.
Les personnalités schizothypiques sont, par rapport à leur groupe culturel, « bizarres » : solitaires, méfiantes, elles sont attirées par les croyances ésotériques, les religions orientales, les croyances « new age »… Elles croient en la réincarnation, aux phénomènes paraormaux, aux extraterrestres… Il y a des liens entre schizothypie et schizophrénie (les schizophrènes perdant eux complètement contact avec la réalité). Il faut les traiter comme des personnalité schizoïdes, mais rien ne vaut l’assistance d’un professionnel, car les risques de dépression et de suicide sont réels.
Les personnalités sadiques se caractérisent par des comportements et attitudes (autorisés ou non par la loi) destinés à dominer et à faire souffrir autrui, non pour atteindre un but mais par plaisir. Certaines périodes de l’histoire et certaines civilisations ont valorisé ce type de personnalité. Près d’une fois sur deux, ce trouble de la personnalité, se déclarant souvent à l’adolescence et à écrasante majorité masculin, est associé à un autre trouble (souvent trouble paranoïaque, narcissique et antisocial). Le sadisme existe cependant en chacun et peut se « réveiller » en certaines circonstances.
Les personnalités à conduite d’échec sont matière à controverse. On parle en réalité plus volontiers de « comportements » d’échec. Ces comportements -souvent associés aux personnalités borderline, dépendante, évitante et passive-agressive- visent à l’auto-sabotage : les personnes à conduite d’échec ne se présentent pas à des examens pourtants bien préparés, choisissent des conjoints brutaux pour lesquels elles se sacrifient, se maintiennent dans des emplois sous-qualifiés et sous-payés, manquent des promotions pourtant acquises… L’entourage pense « Mais ce n’est pas possible, elle le fait exprès » ! » Et c’est effectivement le cas.
Il existe aussi le cas des personnalités modifiées par un événement traumatique, comme par exemple le syndrome KZ (syndrome du survivant), qui consiste en de l’anxiété, un désintérêt, un retrait social, un émoussement affectif, des troubles du sommeil, un sentiment chronique d’être toujours menacé. On l’observe chez les vicimes d’agressions, les survivants de catastrophes, d’accidents graves, d’attentats… Violences et dénutrition sévère (subies dans les camps de concentration ou de prisonniers par exemple) contribuent à ses troubles. Diagnostic précoce et prise en charge immédiate après un traumatisme sont indispensables pour prévenir ce syndrome.
Il existe aussi des personnalités multiples. Le patient atteint présente une personnalité « hôte » (correspondant à son identité sociale), et entre quatre et neuf autres. Le facteur déclenchant se trouve presque toujours dans un événement traumatique dans l’enfance, souvent un inceste, ou une situation impliquant un risque vital et dans lequelle l’enfant « sort de lui-même » (parfois jusqu’à la transe et l’hypnose). Il y a ressemblance avec la personnalité borderline. Les comportements sont impulsifs et autodestructeurs. Les personnes atteintes font parfois des fugues dissociatrices : durant les quelques jours où elles fuguent, elles adoptent une autre personnalité, pour retrouver leur personnalité habituelle en rentrant chez elles. L’hypnose est une technique thérapeutique possible.
Chapitre 13 : les origines des personnalités difficiles
La frontière entre l’acquis et de l’inné est difficile à tracer. De nombreuses théories existent, mais peu d’observations sont vérifiées.
Certains traits de personnalités semblent héréditaires. Les études de jumeaux, d’adoption et familiales semblent le prouver. Mais la tradition judéo-chrétienne (« L’homme a toujours son libre arbitre »), la tradition républicaine (« C’est l’éducation qui fait l’individu »), la tradition psychanalytique (« Tout vient de l’enfance ») et le souvenir douloureux de certaines périodes historiques (nazisme) font que cette théorie choque toujours beaucoup.
L’étude de Livesley et de ses collaborateurs, « Genetic and Environmental Contributions to Dimension of Personality Disorders », publiée dans l’American Journal of Psychiatry en 1993, montre que l’hérédité jouerait une part importante (plus de 45%) dans l’apparition de certaines caractéristiques (particulièrement le narcissisme, les problèmes d’identité, le sadisme…) . Mais cela laisse à l’éducation l’autre moitié de l’influence possible, sauf entre autres pour les traits obsessionnels dans lesquels l’hérédité ne compterait qu’à hauteur de 39%. Les benjamins de fratries (ou ceux qui ont eu des maladies chroniques dans l’enfance) font plus souvent que les autres des dépendants.
L’environnement semble aussi avoir une influence : caractéristiques sociodémographiques de la famille, deuils précoces, maladies graves, violences conjugales, maltraitances, abus sexuels, style d’éducation et de communication au sein de la famille entrent en ligne de compte. Cela semble particulièrement vrai pour les personnalités schizotypiques.
Au niveau du rapport entre génétique et environnement, les données sont encore disparates. Mais par exemple, on trouve plus de dépressifs dans la parenté des personnalités borderline que dans une population-témoin.
Conclusion : personnalités difficiles et changements
Vivre, c’est s’adapter tout en restant soi-même. Mais comment se changer ? C’est particulièrement difficile. On pense souvent « J’ai toujours été comme ça ! », « Un problème ? Quel problème ? », « C’est plus fort que moi ! », « J’ai de bonnes raisons pour agir ainsi… » ou « C’est ma personnalité ».
Les personnes aux personnalités difficiles sont plus souvent ego-syntoniques (tolérantes à leurs symptômes et résistantes au changements) qu’ego-dystoniques (conscientes de leurs symptômes et désireuses de changer). Il faut souvent beaucoup de difficultés (jusqu’à la dépression), d’échecs, de pression des proches et de souffrance (chez les paranoïaques, narcissiques et Type A par exemple) pour qu’elles se remettent en question.
Le changement arrive souvent par l’entourage, mais ces pressions sont aussi souvent mal vécues, et sources de problèmes. On ne peut que conseiller à l’entourage de comprendre, d’accepter (la personnalité difficile ne se comporte pas de façon problématique par plaisir mais par peur –d’être abandonnée, incomprise, agressée etc.) et d’éviter les interprétations sauvages (« Mon pauvre, c’est sûrement à cause de ton enfance que tu es comme ça ! »).
Il faut respecter la difficulté à changer, car le processus de démolition/reconstruction est long et douloureux, et les rechutes fréquentes. Il faut aussi accepter que le changement soit lent, imparfait et incomplet (et ne pas par exemple exiger un changement rapide, puis tout laisser tomber). Naturellement, il faut s’adresser à la personne sans lui faire la morale (les personnalités rigides ayant déjà des visions des choses rigides et normatives, inutile d’en rajouter), et mettre plutôt l’accent sur les difficultés occasionnées par le comportement (en exprimant ses besoins et ses limites). Il faut décrire (le comportement qui pose problème) plutôt que juger (la personne). Il ne faut pas non plus par contre compatir, entrer dans son jeu ou céder sur l’essentiel, car sinon, on apprend à la personnalité difficile qu’il suffit de s’obstiner pour obtenir ce qu’elle veut.
Les médicaments (même si leurs ressorts sont parfois mal connus et leur efficacité variable) soulagent globalement les souffrances, sans donner aux personnalités difficiles la sensation que leur personnalité a été modifiée. Et on ignore en réalité si les médicaments peuvent effectivement modifier les personnalités : à ce sujet, le débat fait rage. Une autre question consiste à se demander si les patients veulent un tratement parce ce qu’ils souffrent et font souffrir, ou parce qu’ils ne sont pas assez performants dans le type de société qui est le nôtre.
Au niveau des psychothérapies, deux grands courants existent. Les thérapies psychodynamiques (type psychanalyse) sont surtout centrées sur le passé (ou sur l’interface passé/présent) et vers la reviviscence et la compréhension des événements importants de l’histoire personnelle du patient. Le thérapeute est neutre et délivre au patient peu d’informations sur ses troubles, et sa thérapie. L’objectif et la durée ne sont pas déterminés. On vise la modification de la structure psychique sous-jacente (laquelle permet ensuite la modification des symptômes et des conduites) du patient.
Les thérapies comportementales et cognitives sont surtout centrées sur le présent, tournées vers l’acquisition de compétences à gérer les difficultés du présent. Le thérapeute est interactif et délivre au patient beaucoup d’informations. L’objectif et la durée sont déterminés. L’objectif principal est la modification des symptômes et des conduites (dont on pense qu’elle modifiera à son tour ensuite les structures psychiques plus profondes).
Il y a également les psychothérapies interpersonnelles (développées depuis les années 70, suite aux travaux du psychiatre américain Adolf Meyer), qui partent du principe que le dysfonctionnement des liens interpersonnels (le patient avec autrui) est la cause des problèmes. Le patient apprend à identifier ses sources d’insatisfaction relationnelle, à modifier son style habituel de réaction aux situations-problèmes, à développer des échanges gratifiants avec l’entourage et à gérer les conflits et problèmes relationnels.
Les thérapies cognitives nous semblent les plus indiquées. Ces thérapies sont essentiellement pragmatiques et empiriques : leur point de départ est l’observation attentive et exhaustive des situations dans lesquelles les difficultés apparaissent.
Les cognitivistes se penchent sur notre vision du monde, nos constellations de croyances (par exemple « Les gens me doivent de l’attention ») et nos règles personnelles. Ils étudient nos « situations-gâchettes » (« démarreurs »), nos scénarios stéréotypés. Par exemple, la situation-gâchette d’un schizoïde est la promiscuité ou le rapprochement forcé, et sa réation stéréotypée est l’isolement et l’absence d’intérêt pour les autres. A partir de la situation-gâchette (par exemple, un conflit avec le conjoint), le cognitiviste aide le patient à identifier l’émotion qu’il ressent (par exemple l’inquiétude) puis la cognition associée (« Il ne fait plus aucun effort à mon égard »). Enfin, il amène le patient à prendre conscience que ces cognitions ne sont pas des faits mais seulement des hypothèses, et aide le patient à imaginer des hypothèses alternatives. Il ne cherche pas à changer les convictions du patient mais seulement à les assouplir.
Le thérapeute cognitiviste est un « socratique » (le philosophe grec Socrate « accouchait les âmes » de ses disciples) : il aide à la prise de conscience et propose. Il est à la fois actif et interactif, exigeant et prescriptif, explicite et pédagogue. Comme le psychanalyste, il est attentif au phénomène du « transfert ». C’est aussi un comportementaliste qui peut donner au patient des « épreuves de réalité ». Il peut par exemple demander à un patient anxieux de partir en week-end sans préparation (pour lui démontrer que « le pire n’est pas toujours possible »), à un obsessionnel de ne tondre sa pelouse qu’à moitié (pour infirmer sa croyance selon laquelle « Si tout n’est pas parfait, c’est la catastrophe »)… Il expose le patient à ce que celui-ci redoute. Pour améliorer les « compétences sociales » de ses patients, il pratique aussi les jeux de rôle. Il demande par exemple aux narcissiques de poser des questions et d’écouter leurs interlocuteurs, montre aux passifs-agressifs qu’on peut exprimer un désaccord avec le sourire et les yeux dans les yeux…
Le chemin est rocailleux. La durée habituelle de ces thérapies cognitivo-comportementales et de deux à trois ans. Leur efficacité semble avérée, mais il faut rester prudent, car les conditions dans lesquelles les études ont été faites sont différentes des conditions normales dans lesquelles se déroulent les thérapies. Les thérapeutes doivent être expérimentés et capables de maintenir la motivation de leurs patients.