Partager

ConsidĂ©rĂ© par beaucoup comme un Machiavel moderne, Robert Greene, auteur amĂ©ricain analyste des notions de pouvoir, de sĂ©duction et de manipulation, centre ses rĂ©flexions sur l’adaptation des plus grandes leçons historiques Ă  la vie quotidienne, du monde de l’entreprise Ă  la gestion des relations personnelles et professionnelles.

Le troisiĂšme ouvrage auquel nous nous intĂ©ressons est en fait le premier dans sa bibliographie, et prĂ©sente un condensĂ© de sa vision et des stratĂ©gies qu’il dĂ©taillera plus avant dans ses traitĂ©s suivants, qu’il s’agisse de l’art de la guerre ou de celui d’atteindre l’excellence, l’objectif commun Ă  l’ensemble de ses ouvrages restant l’accomplissement d’une maĂźtrise parfaite de sa vie, de son environnement et de ses relations, afin d’y occuper toujours la position la plus avantageuse.

Lois 1 Ă  24

LOI 1 : NE SURPASSEZ JAMAIS LE MAÎTRE

Ceux qui sont au-dessus de vous doivent toujours se sentir largement supĂ©rieurs. Dans votre dĂ©sir de leur plaire et de les impressionner, ne vous laissez pas entraĂźner Ă  faire trop Ă©talage de vos talents, ou vous pourriez obtenir l’effet inverse : les dĂ©stabiliser en leur faisant de l’ombre. Faites en sorte que vos maĂźtres apparaissent plus brillants qu’ils ne sont et vous atteindrez les sommets du pouvoir.

La mise en garde :

Inutile de craindre de vexer chaque personne que vous rencontrez : votre arrogance doit ĂȘtre sĂ©lective. Si votre supĂ©rieur est une Ă©toile moribonde, il n’y a rien Ă  craindre Ă  lui faire de l’ombre. Jaugez sa force. S’il est faible, hĂątez discrĂštement sa chute. Montrez-vous plus charmant, plus Ă©lĂ©gant, plus compĂ©tent que lui Ă  des moments clefs. S’il est chancelant et prĂȘt Ă  tomber, laissez faire. Ne prenez pas le risque d’achever un supĂ©rieur affaibli – cela pourrait apparaĂźtre cruel ou malveillant. Attendez votre heure. Il est dans l’ordre des choses que son pouvoir s’amenuise et s’éteigne. Si vous jouez bien, vous lui survivrez et le surpasserez.

LOI 2 : NE VOUS FIEZ PAS À VOS AMIS, UTILISEZ VOS ENNEMIS

Gardez-vous de vos amis : beaucoup vous trahiront par envie. D’autres se montreront gĂątĂ©s, tyranniques. Un ancien ennemi que vous engagez sera plus loyal qu’un ami parce qu’il devra faire ses preuves. En fait, vous avez plus Ă  craindre de vos amis que de vos ennemis. Si vous n’avez pas d’ennemis, trouvez le moyen de vous en faire.

La mise en garde :

En gĂ©nĂ©ral, mieux vaut ne pas mĂ©langer travail et amitiĂ©, mais il arrive qu’un ami puisse vous ĂȘtre plus utile qu’un ennemi. Il existe certaines basses Ɠuvres, dont, pour sauver les apparences, il est prĂ©fĂ©rable que d’autres se chargent ; les amis font souvent cela au mieux. Si pour quelque raison vos projets achoppent, vous pouvez ainsi utiliser un ami comme bouc Ă©missaire. Les souverains avaient souvent recours Ă  ce subterfuge : ils laissaient leur favori porter la responsabilitĂ© d’une faute, car personne ne s’attendait Ă  ce qu’ils sacrifient dĂ©libĂ©rĂ©ment un ami. Bien sĂ»r, une fois cette carte jouĂ©e, l’ami est perdu pour toujours.

LOI 3 : DISSIMULEZ VOS INTENTIONS

Maintenez votre entourage dans l’incertitude et le flou en ne rĂ©vĂ©lant jamais le but qui se cache derriĂšre vos actions. S’ils n’ont aucune idĂ©e de ce que vous prĂ©voyez, ils ne pourront pas prĂ©parer de dĂ©fense. Guidez-les assez loin dans une autre direction, enveloppez-les d’un Ă©cran de fumĂ©e et quand ils perceront Ă  jour vos desseins, il sera trop tard.

La mise en garde :

Aucun Ă©cran de fumĂ©e, aucun leurre, aucune fausse sincĂ©ritĂ© ou autre procĂ©dĂ© de diversion ne pourra cacher vos intentions si vous avez dĂ©jĂ  une rĂ©putation Ă©tablie de malhonnĂȘtetĂ©. Si tout le monde sait que vous pratiquez la supercherie, en persistant Ă  jouer les naĂŻfs, vous courrez le risque d’apparaĂźtre comme le plus parfait hypocrite, ce qui va considĂ©rablement limiter votre marge de manƓuvre. Alors il vaut mieux avouer, apparaĂźtre comme un honnĂȘte voyou, ou mieux, un voyou repentant. Non seulement vous serez admirĂ© pour votre franchise, mais – ĂŽ miracle ! –, vous pourrez continuer vos agissements.

LOI 4 : DITES-EN TOUJOURS MOINS QUE NÉCESSAIRE

Plus vous vous laissez aller Ă  parler, plus vous avez l’air banal et peu maĂźtre de vous-mĂȘme. MĂȘme anodines, vos paroles sembleront originales si elles restent vagues et Ă©nigmatiques. Les personnages puissants impressionnent et intimident parce qu’ils sont peu loquaces. Plus vous en dites et plus vous risquez de dire des bĂȘtises.

La mise en garde :

Il est des situations oĂč il est peu avisĂ© de garder le silence. Celui-ci peut susciter soupçons et mĂȘme inquiĂ©tude, particuliĂšrement chez des supĂ©rieurs. Un commentaire vague ou ambigu risque de conduire Ă  des interprĂ©tations imprĂ©visibles. Le silence et la rĂ©serve doivent ĂȘtre pratiquĂ©s avec prĂ©caution et seulement Ă  bon escient. Il est parfois plus sage d’imiter le bouffon qui joue l’imbĂ©cile mais qui se sait plus intelligent que le roi. Il parle, parle et divertit, et personne ne voit en lui plus qu’un simple fou

LOI 5 : PROTÉGEZ VOTRE RÉPUTATION COMME LA PRUNELLE DE VOS YEUX

La rĂ©putation est la pierre angulaire du pouvoir. À elle seule, elle peut vous permettre d’impressionner et de gagner ; cependant, lorsqu’elle est compromise, vous ĂȘtes vulnĂ©rable et l’on vous attaquera de toutes parts. Faites en sorte que votre rĂ©putation soit toujours impeccable. Soyez vigilant et dĂ©jouez les attaques avant qu’elles ne se produisent. En mĂȘme temps, apprenez Ă  dĂ©truire vos ennemis par leur rĂ©putation : ouvrez-y des brĂšches, puis taisez-vous et laissez faire la meute.

La mise en garde :

Il n’y a pas de contre-exemple. La rĂ©putation est un Ă©lĂ©ment crucial ; il n’y a pas d’exception Ă  cette loi. Peut-ĂȘtre, si vous vous moquez de ce que les autres pensent, acquerrez-vous une rĂ©putation d’effronterie et d’arrogance, ce qui est en soi une image valable. Mais puisqu’on doit vivre en sociĂ©tĂ© et qu’on dĂ©pend de l’opinion des autres, il n’y a rien Ă  gagner en nĂ©gligeant sa rĂ©putation.

LOI 6 : ATTIREZ L’ATTENTION À TOUT PRIX

Les gens jugent tout Ă  l’apparence ; ce qui n’est pas visible ne compte pour rien. Ne vous laissez jamais noyer dans la foule ni sombrer dans l’oubli. Soyez Ă  tout prix le point de mire, celui que l’on remarque. Faites-vous plus grand, plus chatoyant, plus mystĂ©rieux que la masse terne et morne, soyez l’aimant qui attire tous les regards.

La mise en garde :

Au dĂ©but de votre ascension vers les sommets, vous devez attirer l’attention Ă  tout prix, mais au fur et Ă  mesure que vous gravissez les Ă©chelons il vous faudra constamment vous adapter. Ne lassez pas le public en conservant la mĂȘme tactique. Un air de mystĂšre aidera considĂ©rablement ceux qui ont besoin de dĂ©velopper une aura de puissance car il les fera remarquer, mais leur attitude doit rester sobre et maĂźtrisĂ©e.

LOI 7 : LAISSEZ LE TRAVAIL AUX AUTRES, MAIS RECUEILLEZ-EN LES LAURIERS

Utilisez la sagesse, le savoir et le travail des autres pour faire avancer votre propre cause. Non seulement cette aide vous fera gagner une Ă©nergie et un temps prĂ©cieux, mais elle vous confĂ©rera une aura quasi divine d’efficacitĂ© et de diligence. À la fin, vos collaborateurs seront oubliĂ©s et on ne se souviendra que de vous. Ne faites jamais ce que les autres peuvent faire Ă  votre place.  

La mise en garde :

Il y a des moments oĂč il ne sera pas trĂšs avisĂ© de tirer profit du travail des autres : si votre pouvoir n’est pas assez fermement Ă©tabli, vous aurez l’air de repousser les gens hors des feux de la rampe. Pour ĂȘtre un brillant exploiteur de talents, votre position doit ĂȘtre inĂ©branlable ou vous serez accusĂ© d’escroquerie.

LOI 8 : OBLIGEZ L’ADVERSAIRE À SE BATTRE SUR VOTRE PROPRE TERRAIN

Quand on force une personne à agir, on est maütre de la situation. Il vaut toujours mieux amener un adversaire à soi en le faisant abandonner ses propres plans. Appñtez-le avec des gains fabuleux, puis passez à l’attaque. Vous aurez ainsi les cartes en main.

La mise en garde :

Bien qu’il soit gĂ©nĂ©ralement avisĂ© d’épuiser votre adversaire en l’obligeant Ă  vous pourchasser, il existe des cas oĂč une attaque violente et soudaine dĂ©moralise tellement votre ennemi qu’il en perd toute Ă©nergie. Au lieu de faire venir les autres Ă  vous, c’est vous alors qui allez Ă  eux, forcez la situation et prenez le contrĂŽle. Une attaque Ă©clair peut ĂȘtre une arme redoutable parce qu’elle oblige l’autre Ă  rĂ©agir sans lui laisser le temps de rĂ©flĂ©chir ni de planifier. Faute de ce temps de rĂ©flexion, on fait des erreurs de jugement et l’on est sur la dĂ©fensive. Cette tactique est Ă  l’opposĂ© de celle de l’appĂąt et de l’attente, mais elle assure la mĂȘme fonction : vous obligez votre ennemi Ă  rĂ©pondre selon vos termes.

LOI 9 : REMPORTEZ LA VICTOIRE PAR VOS ACTES ET NON PAR VOS DISCOURS

Le triomphe momentanĂ© obtenu en haussant le ton n’est qu’une victoire Ă  la Pyrrhus : le ressentiment, la rancƓur que l’on suscite sont plus forts et plus durables que la docilitĂ© forcĂ©e de votre interlocuteur. Votre pouvoir sera bien plus grand si vous arrivez Ă  obtenir son accord par vos seules actions, sans dire un mot. Ne prĂȘchez pas, montrez l’exemple.

La mise en garde :

L’argumentation verbale n’a qu’un seul intĂ©rĂȘt – vital – dans le domaine du pouvoir : elle distrait et couvre vos traces quand vous pratiquez la tromperie ou que vous ĂȘtes pris en flagrant dĂ©lit de mensonge. Dans de tels cas, il est Ă  votre avantage de parlementer avec toute la conviction dont vous ĂȘtes capable. EntraĂźnez l’autre dans une discussion pour le distraire de votre supercherie. Quand vous ĂȘtes pris en flagrant dĂ©lit de mensonge, plus vous semblerez indignĂ© et sĂ»r de vous, moins vous aurez l’air de mentir.

LOI 10 : FUYEZ LA CONTAGION DE LA MALCHANCE ET DU MALHEUR

On peut mourir du malheur d’autrui : les Ă©tats d’ñme sont contagieux. En voulant aider celui qui se noie, vous courez seulement Ă  votre perte. Les malchanceux attirent l’adversitĂ©, sur eux-mĂȘmes et aussi, peut-ĂȘtre, sur vous. PrĂ©fĂ©rez la compagnie de ceux Ă  qui tout rĂ©ussit.

La mise en garde :

Cette loi n’admet pas d’exception. Son application est universelle. Il n’y a rien Ă  gagner en s’associant Ă  ceux qui vous contaminent avec leurs malheurs ; on ne peut obtenir pouvoir et bonne fortune qu’au contact de ceux qui rĂ©ussissent.

LOI 11 : RENDEZ-VOUS INDISPENSABLE

Pour garder votre indĂ©pendance, vous devez faire en sorte que l’on ne puisse se passer de vous. Plus on compte sur vous, plus vous ĂȘtes libre. Tant que vous serez le garant du bonheur et de la prospĂ©ritĂ© des autres, vous n’aurez rien Ă  craindre. Faites en sorte qu’ils n’en sachent jamais assez pour se dĂ©brouiller seuls.

La mise en garde :

Cette loi comporte une faiblesse : rendre les autres dĂ©pendants de vous vous rend dans une certaine mesure dĂ©pendant d’eux. Mais essayer de dĂ©passer cela signifie se dĂ©barrasser de ceux qui sont au-dessus de vous – c’est-Ă -dire rester seul, ne dĂ©pendre de personne. Mais une telle indĂ©pendance a un prix : l’isolement. L’interdĂ©pendance reste la loi, l’indĂ©pendance est une exception rare, souvent fatale. Mieux vaut se placer dans une position de dĂ©pendance mutuelle et y rester plutĂŽt que rechercher son contraire. Vous n’aurez pas la pression insoutenable d’ĂȘtre au sommet et le maĂźtre au-dessus de vous sera par dĂ©finition votre esclave, parce que c’est lui qui dĂ©pendra de vous.

LOI 12 : SOYEZ D’UNE HONNÊTETÉ ET D’UNE GÉNÉROSITÉ DÉSARMANTES

Un acte sincĂšre et honnĂȘte compense des dizaines de scĂ©lĂ©ratesses. L’honnĂȘtetĂ© et la gĂ©nĂ©rositĂ© font baisser la garde des plus soupçonneux. Soyez honnĂȘte Ă  bon escient, trouvez le dĂ©faut de la cuirasse, puis trompez et manipulez Ă  loisir. Un cadeau offert Ă  propos – un cheval de Troie – aura un effet similaire.  

La mise en garde :

Quand on a derriĂšre soi un passĂ© de tromperie, on n’abusera personne, quelles que soient l’honnĂȘtetĂ©, la gĂ©nĂ©rositĂ© et la gentillesse dont on fasse preuve. Cela n’aura d’autre effet que de mettre la puce Ă  l’oreille. Une fois la mĂ©fiance Ă©veillĂ©e, une soudaine honnĂȘtetĂ© n’éveillera que des soupçons. Dans ce cas, mieux vaut assumer. Rien dans le domaine du pouvoir n’est gravĂ© dans la pierre. Le fait d’ĂȘtre ouvertement enclin Ă  la duperie couvrira parfois vos traces et on vous admirera mĂȘme pour ce que vous assumez d’ĂȘtre : une franche canaille.

LOI 13 : MISEZ SUR L’INTÉRÊT PERSONNEL, JAMAIS SUR LA PITIÉ NI LA RECONNAISSANCE

Si vous avez besoin d’un alliĂ©, ne lui rappelez pas l’aide que vous lui avez apportĂ©e ni les services que vous lui avez rendus, vous le feriez fuir. Mieux vaut faire valoir dans votre demande d’alliance un Ă©lĂ©ment qui lui sera profitable ; insistez sur ce point. Plus il aura Ă  y gagner, plus il fera preuve d’empressement.

La mise en garde :

Certains trouvent ignoble de donner la prioritĂ© Ă  leur intĂ©rĂȘt personnel. En fait, ceux-lĂ  convoitent les occasions d’exercer leur charitĂ©, leur compassion et leur justice, qui sont pour eux un moyen de se sentir supĂ©rieurs Ă  vous. Ils se mettront en quatre pour financer votre projet, vous prĂ©senter Ă  des gens influents
 Ă  condition, bien sĂ»r, que tout cela soit fait le plus ostensiblement possible, et pour une louable cause : plus cela se saura, plus ils seront ravis. Certains font les dĂ©goĂ»tĂ©s parce qu’ils ne veulent pas avoir l’air vĂ©naux ; ce sont les mĂȘmes qui profitent de la moindre occasion pour jouer les grands seigneurs. Ne soyez pas timide : donnez-leur cette chance. Ce n’est pas comme si vous les dupiez en demandant de l’aide : c’est un rĂ©el bonheur pour eux que de vous faire du bien au vu et au su de tout le monde.

LOI 14 : SOYEZ UN FAUX AMI
 ET UN VRAI ESPION

Tout savoir de son rival est indispensable. Vous prendrez un avantage inestimable en postant des espions qui vous communiqueront des informations prĂ©cieuses. Mieux encore : espionnez vous-mĂȘme. Dans les rĂ©unions mondaines, ouvrez l’Ɠil, prĂȘtez l’oreille. Par des questions indirectes, percez Ă  jour les faiblesses et les intentions de vos interlocuteurs. Faites feu de tout bois pour exercer l’art de l’espionnage.

La mise en garde :

L’information est un Ă©lĂ©ment essentiel du pouvoir mais, de mĂȘme que vous espionnez les autres, vous devez vous attendre Ă  ĂȘtre espionnĂ©. Une des armes les plus puissantes dans la bataille de l’information est justement la dĂ©sinformation. Comme le disait Winston Churchill : « À la guerre, la vĂ©ritĂ© est une chose si prĂ©cieuse qu’elle doit ĂȘtre entourĂ©e d’un rempart de mensonges. » En divulguant seulement les informations de votre choix, vous avez la maĂźtrise du jeu.

LOI 15 : ÉCRASEZ COMPLÈTEMENT L’ENNEMI

Tous les grands chefs depuis MoĂŻse savent qu’un ennemi redoutable doit ĂȘtre exterminĂ© jusqu’au dernier. Parfois ils l’ont appris Ă  leurs dĂ©pens. S’il subsiste ne serait-ce qu’une faible braise, le feu reprendra. Vous avez beaucoup plus Ă  perdre en faisant preuve de clĂ©mence qu’en Ă©liminant complĂštement votre ennemi : ce dernier se remettra et cherchera Ă  se venger.

La mise en garde :

Cette loi souffre peu d’exceptions ; mais parfois il vaut mieux laisser vos ennemis s’autodĂ©truire, si cela est possible, plutĂŽt que de les achever vous-mĂȘme. En temps de guerre, un bon gĂ©nĂ©ral sait que s’il attaque une armĂ©e acculĂ©e les soldats se battront avec l’énergie du dĂ©sespoir. Mieux vaut leur laisser une chance de fuite. Leur retraite les Ă©puisera et les dĂ©moralisera davantage que ne l’aurait fait une dĂ©faite sur le champ de bataille.

LOI 16 : FAITES-VOUS DÉSIRER

Tout ce qui est rare est cher : plus on se fait voir, plus on se fait entendre, et plus on semble ordinaire. Si vous faites partie d’un groupe, Ă©loignez-vous-en un certain temps et l’on parlera de vous davantage, vous serez mĂȘme plus admirĂ©. Pratiquez l’absence : la raretĂ© augmentera votre valeur.

La mise en garde :

Cette loi s’applique uniquement Ă  un certain degrĂ© de pouvoir. Un minimum de notoriĂ©tĂ© est requis pour que votre absence soit remarquĂ©e ; si vous partez trop tĂŽt, on vous oublie, tout bonnement. Il faut se forger en dĂ©but de carriĂšre une image reconnaissable, reproductible et visible partout. Faute de quoi l’absence, au lieu d’attiser les flammes, les Ă©teint. Souvenez-vous : au dĂ©but, ne vous faites pas rare mais omniprĂ©sent. Ce n’est que lorsque vous ĂȘtes vu, apprĂ©ciĂ© et aimĂ© que l’on souffrira de votre absence.

LOI 17 : SOYEZ IMPRÉVISIBLE

L’homme est fĂ©ru d’habitudes, surtout chez autrui. Quand vous ne surprenez plus personne, vous donnez aux autres l’impression qu’ils vous ont percĂ© Ă  jour. Renversez la situation : soyez dĂ©libĂ©rĂ©ment imprĂ©visible. Un comportement sans rime ni raison dĂ©stabilisera les gens, ils s’épuiseront Ă  faire l’exĂ©gĂšse de vos actes. Cette stratĂ©gie peut intimider, voire mĂȘme susciter la terreur.

La mise en garde :

Parfois, la prĂ©visibilitĂ© peut jouer en votre faveur : en berçant votre entourage dans un cadre familier, vous endormez leur vigilance. Ils agencent tout en fonction de l’idĂ©e qu’ils se font de vous. Vous pouvez utiliser cela de plus d’une façon : en premier lieu, cela crĂ©e un Ă©cran de fumĂ©e, une façade confortable derriĂšre laquelle vous multipliez Ă  l’aise vos roueries. En second lieu, cela vous permettra Ă  l’occasion de faire voler le cadre en Ă©clats : votre adversaire sera si dĂ©sĂ©quilibrĂ© qu’il n’y aura pas mĂȘme besoin de le pousser pour qu’il tombe.

LOI 18 : NE RESTEZ PAS DANS VOTRE TOUR D’IVOIRE

Le monde est une jungle et les ennemis sont partout : chacun doit se protĂ©ger. Une forteresse semble le lieu le plus sĂ»r. Mais l’isolement a ses dangers : d’une part, il vous prive d’informations importantes ; d’autre part, en vous isolant, vous devenez une cible facile et l’objet de tous les soupçons. Mieux vaut circuler, trouver des alliĂ©s, se mĂȘler aux autres. La foule est un bon bouclier humain.

La mise en garde :

Il est rarement judicieux de choisir l’isolement. La seule chose qu’un commerce incessant avec autrui ne facilite guĂšre est la rĂ©flexion. Le conformisme ambiant et le manque de distance par rapport aux autres font souvent obstacle Ă  l’analyse. L’isolement, s’il est provisoire, permet de prendre du recul. Beaucoup de penseurs le sont devenus en prison, oĂč ils n’avaient rien d’autre Ă  faire que penser. Machiavel a Ă©crit Le Prince en exil, retirĂ© dans une ferme loin du panier de crabes politique florentin.

LOI 19 : NE MARCHEZ PAS SUR LES PIEDS DE N’IMPORTE QUI

Il y a des gens bien diffĂ©rents de par le monde : tous ne rĂ©agissent pas de la mĂȘme maniĂšre. Certains, lorsqu’ils sont trompĂ©s ou manipulĂ©s, passent le reste de leur vie Ă  chercher une occasion de vengeance. Ce sont des loups dĂ©guisĂ©s en agneaux. Choisissez soigneusement vos victimes et vos adversaires, ne malmenez pas n’importe qui.

La mise en garde :

Que pourrait-on obtenir de l’autre si on ne le connaĂźt pas ? Sachez reconnaĂźtre le loup dĂ©guisĂ© en mouton, ou assumez-en les consĂ©quences. Respectez cette loi Ă  la lettre ; inutile d’y chercher des exceptions : elle n’en a pas.

LOI 20 : NE PRENEZ PAS PARTI

Stupide est celui qui aliĂšne sa libertĂ© Ă  un parti. Soyez vous-mĂȘme votre unique cause. En gardant votre indĂ©pendance, vous deviendrez le maĂźtre de tous : dressez-les les uns contre les autres et obligez-les Ă  vous suivre.

La mise en garde :

Les deux aspects de cette loi peuvent vous mener Ă  la catastrophe si vous allez trop loin. Le jeu proposĂ© ici est dĂ©licat. Si vous faites s’affronter entre eux trop de partis, ils verront la manƓuvre et se ligueront contre vous. Si vous faites attendre trop longtemps ceux qui recherchent votre alliance, vous allez inspirer non du dĂ©sir mais de la mĂ©fiance et l’on se dĂ©sintĂ©ressera de vous.

LOI 21 : À SOT, SOT ET DEMI

On n’aime pas avoir l’air plus bĂȘte que son voisin. Utilisez donc ce stratagĂšme : faites en sorte que ceux que vous visez se croient intelligents, et surtout plus intelligents que vous. Une fois convaincus, ils ne chercheront pas plus loin et ne se mĂ©fieront pas de vos agissements. RĂ©vĂ©ler toute l’étendue de son intelligence ne rapporte pas grand-chose ; mieux vaut toujours la minimiser. Qui dĂ©couvre par inadvertance la vĂ©ritĂ© – vous ĂȘtes plus intelligent que vous ne paraissez – vous admirera plus pour votre discrĂ©tion que si vous faites Ă©talage de vos capacitĂ©s intellectuelles.

La mise en garde :

Il y a cependant une situation oĂč il est au contraire utile de faire Ă©talage de votre intellect : quand cela vous permet de masquer une supercherie. En matiĂšre d’intelligence comme en beaucoup d’autres domaines, ce sont les apparences qui comptent. Si vous semblez avoir de l’autoritĂ© et du savoir, les gens croiront ce que vous dites. Cela peut vous sortir d’un mauvais pas.

LOI 22 : CAPITULEZ À TEMPS

Quand vous avez le dessous, ne continuez pas pour l’honneur : rendez-vous. La capitulation vous donne le temps de vous refaire une santĂ©, le temps de tourmenter et d’irriter votre vainqueur, le temps d’attendre que son pouvoir pĂ©riclite. Ne lui laissez pas la satisfaction de la victoire : hissez le drapeau blanc. En tendant l’autre joue, vous le rendrez furieux et le dĂ©stabiliserez. Faites de la capitulation un outil de pouvoir.   

La mise en garde :

On capitule pour survivre jusqu’au moment oĂč l’on a retrouvĂ© sa force. C’est prĂ©cisĂ©ment pour Ă©viter le martyre que l’on se rend, mais, parfois, l’ennemi ne se laisse pas adoucir et le martyre semble ĂȘtre la seule voie. Pourtant le martyre, qui est le contraire de la capitulation, est une tactique floue et complexe, et aussi violente que l’agression qu’elle combat. Pour chaque martyr cĂ©lĂšbre, des milliers d’anonymes se sont sacrifiĂ©s sans que leur geste ait eu de rĂ©sultat ; c’est pourquoi l’on peut dire que, si le martyre apporte parfois un certain pouvoir, il le fait de maniĂšre trĂšs imprĂ©visible – et de toute façon on n’est plus lĂ  pour en jouir. Quand le pouvoir vous fait dĂ©faut, mieux vaut ainsi malgrĂ© tout ne pas opter pour le martyre : le retour de balancier est inĂ©luctable et il faut rester vivant pour en bĂ©nĂ©ficier.

LOI 23 : CONCENTREZ VOS FORCES

Économisez vos forces et votre Ă©nergie en les gardant concentrĂ©es Ă  leur niveau le plus Ă©levĂ©. On gagne plus en exploitant un filon riche et profond qu’en faisant de l’orpaillage : l’intensif l’emporte toujours sur l’extensif. Quand on recherche des sources de pouvoir pour s’élever, il faut se trouver un maĂźtre de poids, une laitiĂšre bien grasse qui donnera du lait longtemps.

La mise en garde :

La concentration comporte nĂ©anmoins des risques, et il arrive que la dispersion soit la tactique la plus appropriĂ©e. Chaque fois que l’on a besoin de protection, il est prudent de se lier Ă  plusieurs sources de pouvoir, particuliĂšrement en pĂ©riode de grands troubles et de bouleversements violents, ou lorsque les ennemis sont nombreux. Plus on sert de patrons et de maĂźtres, moins on court de risques si l’un d’eux perd son pouvoir, et cette dispersion permet mĂȘme de les jouer les uns contre les autres. Mais si l’on se concentre sur une seule source de pouvoir, mieux vaut, par prudence, se prĂ©parer au jour oĂč elle ne sera plus lĂ .

LOI 24 : SOYEZ UN COURTISAN MODÈLE

Le courtisan Ă©volue dans un monde oĂč tout tourne autour du pouvoir et du jeu politique. Il doit maĂźtriser l’art du flou, flatter, s’abaisser devant les grands et exercer son pouvoir sur les autres de maniĂšre aussi courtoise que discrĂšte. Apprenez et appliquez les lois de la cour, et votre ascension ne connaĂźtra pas de limites. Cette loi qui ne souffre pas d’exception conclut la premiĂšre moitiĂ© de l’ouvrage avec 15 recommandations incontournables et intemporelles dans le jeu de l’ascension au pouvoir :

– Évitez l’ostentation. Il n’est jamais prudent de trop parler de soi et d’attirer l’attention sur ses actes. Plus l’on se vante de ses hauts faits, plus l’on Ă©veille les soupçons.

– Pratiquez la nonchalance. N’ayez jamais l’air de faire d’effort. Le talent doit paraĂźtre naturel : mieux vaut passer pour un gĂ©nie que pour un bourreau de travail. MĂȘme lorsqu’une tĂąche exige un dur labeur, il faut jouer la souplesse et la dĂ©contraction : l’exhibitionnisme de celui qui transpire sang et eau est une forme d’ostentation.

– Flattez avec parcimonie. Vos supĂ©rieurs ont beau sembler avides de flatterie, l’abus des bonnes choses leur fait perdre leur valeur. La flagornerie Ă©veillera des soupçons mĂȘme parmi vos pairs.

– Arrangez-vous pour ĂȘtre remarquĂ©. C’est un paradoxe : il ne faut pas trop briller et pourtant on doit se faire remarquer. Souvent, au dĂ©but, il suffit d’ĂȘtre vu, au sens littĂ©ral du terme. Soignez votre prĂ©sentation, puis tĂąchez de vous crĂ©er un style, une image distinctifs.

– Modulez votre style et votre langage en fonction de votre interlocuteur. Il est fatal d’afficher un Ă©galitarisme primaire. Le fait de parler et d’agir de la mĂȘme façon avec chacun quel que soit son rang n’est pas une marque de raffinement mais une terrible erreur. Ceux qui sont en dessous de vous le prendront Ă  juste titre comme une forme de condescendance, et ceux qui sont au-dessus en seront offensĂ©s, mĂȘme s’ils ne l’admettent pas.

– Ne soyez jamais le messager des mauvaises nouvelles. Le roi tue le messager qui apporte de mauvaises nouvelles : faites des pieds et des mains pour ĂȘtre sĂ»r que le fardeau des mauvaises nouvelles ne tombe jamais sur vous. Apportez uniquement de bonnes nouvelles et votre supĂ©rieur se rĂ©jouira Ă  votre vue.

– Ne faites jamais preuve de familiaritĂ© dĂ©placĂ©e avec votre supĂ©rieur. Il ne veut pas d’un ami comme subordonnĂ©, il veut un subordonnĂ©. S’il choisit de traiter avec vous Ă  ce niveau, restez quand mĂȘme vigilant.

– Ne critiquez jamais vos supĂ©rieurs directs. Cela peut paraĂźtre Ă©vident, mais il arrive qu’une certaine forme de critique soit nĂ©cessaire : ne rien dire, ne donner aucun conseil vous conduirait Ă  des risques d’un autre genre. Apprenez toutefois Ă  prĂ©senter votre conseil et vos critiques de maniĂšre aussi indirecte et polie que possible.

– Demandez rarement des faveurs Ă  vos supĂ©rieurs. Rien n’irrite plus un maĂźtre que d’avoir Ă  rejeter une requĂȘte. Il en Ă©prouve des remords et du ressentiment. Plus important : ne demandez pas de faveurs pour quelqu’un d’autre, surtout pour un ami.

– Ne plaisantez jamais sur le physique ni sur le goĂ»t de quiconque. La vivacitĂ© d’esprit et le sens de l’humour sont des qualitĂ©s essentielles pour un bon courtisan, mais Ă©vitez toute plaisanterie sur le physique et le goĂ»t, domaines extrĂȘmement sensibles, en particulier pour vos supĂ©rieurs. Ne vous y aventurez pas, mĂȘme en leur absence.

– Ne soyez pas systĂ©matiquement cynique. Exprimez votre admiration pour le bon travail des autres. Si vous raillez constamment vos Ă©gaux et vos subordonnĂ©s, certaines critiques rejailliront sur vous et vous suivront partout.

– Sachez vous juger. Le miroir est une invention miraculeuse ; sans lui, on multiplierait les impairs contre la beautĂ© et le bon goĂ»t. On a aussi besoin d’un miroir moral. Observez-vous attentivement et vous Ă©viterez mille gaffes.

– Gardez votre sang-froid. Comme un acteur sur scĂšne, apprenez Ă  pleurer et rire sur commande, au moment juste. Cachez colĂšre et ressentiment, feignez la joie et la jubilation. Soyez maĂźtre de vos expressions.

– Soyez dans l’air du temps. Un petit air dĂ©suet a du charme, mais votre esprit et votre façon de penser doivent correspondre Ă  votre Ă©poque, mĂȘme si celle-ci vous dĂ©frise. Inversement, personne ne vous comprendra si vous vous positionnez trop Ă  l’avant-garde. Il n’est jamais bon d’ĂȘtre un anachronisme ambulant ; il vaut mieux se fondre dans le style en vogue.

– Soyez source de plaisir. C’est une rĂšgle de base. L’homme fuit ce qui est dĂ©sagrĂ©able alors que la promesse de dĂ©lices l’attire comme la flamme le papillon. Soyez la flamme et vous atteindrez les sommets. La vie est pleine de dĂ©sagrĂ©ments et le plaisir est rare : vous deviendrez aussi indispensable que l’eau et la nourriture.