ConsidĂ©rĂ© par beaucoup comme un Machiavel moderne, Robert Greene, auteur amĂ©ricain analyste des notions de pouvoir, de sĂ©duction et de manipulation, centre ses rĂ©flexions sur l’adaptation des plus grandes leçons historiques Ă la vie quotidienne, du monde de l’entreprise Ă la gestion des relations personnelles et professionnelles.
Dans un premier temps, nous nous sommes intĂ©ressĂ©s Ă l’ouvrage « StratĂ©gie, les 33 lois de la guerre », qui parcourt plusieurs siĂšcles d’histoire militaire et de stratĂ©gies applicables en- dehors du champ de bataille, ou, plus prĂ©cisĂ©ment, sur le nouveau champ de bataille allĂ©gorique que forment notamment le monde du travail, l’entreprenariat et la compĂ©titivitĂ©. Il a vocation Ă armer le lecteur de connaissances pratiques qui donneront les moyens de garder l’avantage face aux conflits du quotidien. Chaque chapitre porte sur un problĂšme spĂ©cifique auquel nous sommes rĂ©guliĂšrement confrontĂ©s. Comment se battre avec une armĂ©e sous-motivĂ©e ? Peut-on Ă©viter de gaspiller de l’Ă©nergie en combattant sur plusieurs fronts ? Comment rĂ©duire le gouffre entre ce que l’on avait prĂ©vu et la rĂ©alitĂ© ? Comment se tirer d’un piĂšge ? Il ne s’agit pas de doctrines ou de formules Ă appliquer, mais de points de repĂšre pour se lancer dans un combat, quel qu’il soit, de graines qui, bien plantĂ©es, feront germer le stratĂšge qui sommeille en chacun de nous. Trois grands axes sous-tendent cet ouvrage :
- Les fondamentaux que sont la guerre contre soi-mĂȘme, la guerre en Ă©quipe et la guerre dĂ©fensive (stratĂ©gies 1 Ă 11)
- La guerre offensive (stratégies 12 à 22)
- La guerre non conventionnelle (ou guerre « sale ») (stratégies 23 à 33)
PremiĂšre partie : Les fondamentaux de la guerre
La guerre contre soi-mĂȘme
Le mental est le point de dĂ©part de toute guerre et de toute stratĂ©gie. Un esprit facilement dĂ©bordĂ© par ses Ă©motions, ancrĂ© dans le passĂ© et non dans le prĂ©sent, ne sachant pas ĂȘtre lucide dans l’urgence, sera forcĂ©ment incapable de mettre en place des stratĂ©gies efficaces.
Loi 1 : DĂ©clarez la guerre Ă vos ennemis – âLa stratĂ©gie de la polaritĂ©’
Ce que Greene nous en dit : La vie est un combat sans fin, et vous ne pouvez pas vous battre efficacement sans identifier vos ennemis. Apprenez à les débusquer, contraignez-les à se révéler par des signaux et des schémas qui mettront au jour leur hostilité. Ensuite, une fois que vous les aurez bien cernés, déclarez-leur la guerre intérieurement.
Ce qu’on en retient :
Sachez identifier vos ennemis, rĂ©els comme conceptuels, en Ă©laborant une stratĂ©gie pour les pousser Ă rĂ©vĂ©ler leur vĂ©ritable nature, puis puisez votre Ă©nergie dans l’hostilitĂ© qu’ils vous inspirent afin de dĂ©finir l’objectif Ă atteindre. XĂ©nophon, qui n’Ă©tait pas soldat et menait une vie confortable, est parvenu au 5Ăšme siĂšcle avant J.-C. Ă rĂ©organiser et fĂ©dĂ©rer des mercenaires grecs dĂ©sorientĂ©s par les trahisons des Perses en une armĂ©e forte et dĂ©terminĂ©e. Ce fut Ă©galement la stratĂ©gie de Margaret Thatcher, qui ne recherchait pas la popularitĂ©, Ă©phĂ©mĂšre et superficielle, mais le maintien de son image de femme dĂ©terminĂ©e, puissante et inĂ©branlable par contraste avec ses ennemis proclamĂ©s : les socialistes, les lĂąches, les Argentins… Nous sommes dĂ©terminĂ©s par nos relations avec les autres. Enfant, on se dĂ©veloppe une identitĂ© en se distinguant des autres, parfois au point de les rejeter en se rebellant. Plus vous ĂȘtes capable de reconnaĂźtre ce que vous ne voulez pas ĂȘtre, mieux votre identitĂ© et votre but sont alors dĂ©finis. Sans cette polaritĂ©, sans un ennemi Ă combattre, vous ĂȘtes aussi perdu que les mercenaires grecs : concentrez-vous sur un ennemi. Cela peut ĂȘtre quelqu’un qui vous barre le chemin, ou vous cause du tort, secrĂštement ou ouvertement ; ce peut ĂȘtre quelqu’un qui vous a blessĂ© ou qui s’est montrĂ© dĂ©loyal ; ce peut ĂȘtre une valeur ou une idĂ©e que vous mĂ©prisez et que vous percevez chez un individu ou un groupe. Ce peut ĂȘtre une abstraction : la bĂȘtise, la suffisance, le matĂ©rialisme. N’Ă©coutez pas les thĂ©oriciens qui vous disent que la distinction entre un ami et un ennemi est primitive et obsolĂšte. Ils ne font que dĂ©guiser leur peur du conflit derriĂšre une façade chaleureuse. L’ennemi est l’Ă©toile polaire qui vous guide. En suivant cette direction, vous pouvez enfin partir au combat.
La mise en garde : Guettez et utilisez vos ennemis, mais en connaissance de cause. Vous recherchez la clartĂ©, pas la paranoĂŻa. Beaucoup de tyrans sont tombĂ©s Ă force de voir des ennemis partout. En surveillant des ennemis potentiels, vous ĂȘtes simplement prudent. Gardez vos soupçons pour vous ; s’ils sont faux, personne n’en saura rien. Il faut aussi faire attention Ă ne pas diviser les gens jusqu’Ă un point de non-retour. Margaret Thatcher, habituellement brillante Ă ce jeu, finit par en perdre le contrĂŽle : elle se crĂ©a trop d’ennemis et conserva la mĂȘme tactique, y compris dans des situations qui auraient demandĂ© de battre en retraite.
Loi 2 : N’ayez jamais une guerre de retard – âLa stratĂ©gie de la guĂ©rilla psychologique’
Ce que Greene nous en dit : En gĂ©nĂ©ral, ce qui vous empĂȘche d’avancer, c’est le poids du passĂ©. Vous devez faire consciemment la guerre au passĂ© et vous obliger Ă rĂ©agir dans le prĂ©sent. Soyez impitoyable avec vous-mĂȘme : pas question de rĂ©pĂ©ter les mĂȘmes mĂ©thodes. Battez-vous comme un maquisard, sans lignes de dĂ©fense statiques ni citadelles exposĂ©es : tout doit ĂȘtre fluide et mobile.
Ce qu’on en retient :
Ne rĂ©pĂ©tez pas des schĂ©mas qui ont fonctionnĂ© par le passĂ©, mais qui sont dĂ©sormais obsolĂštes. Les Prussiens ont perdu la bataille d’IĂ©na parce qu’ils ont construit leur stratĂ©gie sur leurs succĂšs antĂ©rieurs et des stratĂ©gies militaires qui avaient 50 ans de retard, et n’ont pas su rĂ©agir face Ă NapolĂ©on qui a su, lui, faire preuve de crĂ©ativitĂ© avec une armĂ©e mobile et une autonomie inattendue. De mĂȘme, le samouraĂŻ Maiyamoto Musashi a dĂ©cimĂ© la famille Yoshioka et l’ensemble de ses adversaires en surprenant chaque opposant de façon diffĂ©rente Ă chaque duel, par exemple en arrivant deux fois avec un immense retard au lieu du rendez- vous puis en se cachant Ă proximitĂ© longtemps Ă l’avance pour le troisiĂšme, oĂč en venant armĂ© d’un bĂąton plutĂŽt que d’un sabre Ă une confrontation et en visant les jambes plutĂŽt qu’un point vital. En vous prĂ©parant Ă la guerre, il faut vous dĂ©barrasser des mythes et des idĂ©es prĂ©conçues. La stratĂ©gie, ce n’est pas d’apprendre une sĂ©rie d’enchaĂźnements ou d’idĂ©es Ă suivre comme une recette de cuisine ; il n’existe pas de formules magiques qui conduisent Ă la victoire. Les idĂ©es que vous glanez nourrissent votre terreau : elles sont lĂ , ce sont des possibilitĂ©s et elles inspireront une direction ou une rĂ©ponse sur le vif.
La mise en garde : Quand vous, vous tĂąchez de vous dĂ©faire de cette fĂącheuse tendance, n’oubliez pas que votre ennemi agit de mĂȘme ; il apprend du prĂ©sent et s’y adapte. Les pires dĂ©sastres militaires de l’histoire sont autant liĂ©s Ă un manque de crĂ©ativitĂ© qu’Ă la certitude de savoir comment l’adversaire va rĂ©agir.
Loi 3 : Au cĆur de la tempĂȘte, gardez la tĂȘte froide – âLa stratĂ©gie de l’Ă©quilibre’
Ce que Greene nous en dit : Dans le feu de l’action, on a tendance Ă perdre la tĂȘte. Il est pourtant vital de garder la tĂȘte froide, de ne pas perdre ses moyens quelles que soient les circonstances. Endurcissez-vous en vous exposant Ă l’adversitĂ©. Apprenez Ă vous dĂ©tacher du chaos du champs de bataille.
Ce qu’on en retient :
Quelles que soient les circonstances, ne vous laissez pas guider par l’Ă©motion ou la peur. Inspirez-vous du metteur en scĂšne Alfred Hitchcock, qui prĂ©parait dans le moindre dĂ©tail chacun de ses films et dĂ©taillait Ă la perfection ce qu’il voulait, Ă tel point qu’il pouvait se permettre d’ĂȘtre calme et dĂ©tachĂ© pendant leur tournage, alors que le reste des personnes prĂ©sentes sur le plateau succombait Ă l’hystĂ©rie. A contrario, si vous avez une tendance Ă l’impatience ou Ă l’agressivitĂ©, apprenez Ă les maĂźtriser par une dĂ©termination sans faille qui vous permettra de relĂącher ces pulsions au cĆur de la bataille et non durant sa prĂ©paration, Ă l’image de Lord Nelson, stratĂšge prĂ©cis et minutieux qui compensait sa constitution dĂ©licate par une anticipation impeccable des possibilitĂ©s et donc, une maĂźtrise parfaite de l’inattendu. Exposez-vous au conflit, habituez-vous Ă la panique en la fractionnant en tĂąches simples, et apprenez Ă rire de la bĂȘtise des autres plutĂŽt que de perdre du temps Ă la combattre et de risquer la frustration et l’Ă©puisement pour des points de dĂ©tail vous Ă©loignant de votre but. Vous ne devez surtout pas penser que le sang-froid est une qualitĂ© qui ne vaut qu’en pĂ©riode troublĂ©e, dont on ne se sert que de temps Ă autre. Cela se travaille tous les jours. La confiance, le courage et l’indĂ©pendance d’esprit sont aussi importants en temps de paix qu’en temps de guerre.
La mise en garde : Il n’est jamais bon de perdre son calme, mais on peut se servir de ces moments pour en tirer des leçons. Observez vos faiblesses pour mieux les compenser et, en situation dĂ©licate, tentez de renverser les rĂŽles. Vous savez ce qui vous rend fou de rage : infligez-le Ă votre opposant. Obligez-le Ă passer Ă l’action avant qu’il ne soit prĂȘt. Surprenez- le, il n’y a rien de plus dĂ©stabilisant. Trouvez ses faiblesses et faites-le sortir de ses gonds en mettant les pieds dans le plat. Plus il s’Ă©nerve, moins il sera efficace.
Loi 4 : CrĂ©ez un sentiment d’urgence et de dĂ©sespoir – âLa stratĂ©gie du dernier carrĂ©’
Ce que Greene nous en dit : Vous ĂȘtes votre pire ennemi. Vous perdez un temps prĂ©cieux Ă rĂȘver l’avenir au lieu de vous impliquer dans le prĂ©sent. Coupez les liens qui vous attachent au passĂ©. Jetez-vous dans l’inconnu, lĂ oĂč vous ne pourrez compter que sur vos propres talents et votre propre Ă©nergie.
Ce qu’on en retient :
Cessez de rĂȘver Ă l’avenir et concentrez-vous sur le prĂ©sent. Mettez-vous dans une situation d’urgence pour donner le meilleur de vous-mĂȘme. Pour donner une bonne leçon aux radicaux de Petrashevsky, parmi lesquels se trouvait Fedor DostoĂŻevski, le tsar Nicolas imagina un simulacre de condamnation Ă mort. AprĂšs huit mois d’emprisonnement suite Ă leur position sur le servage royal, les vingt-trois radicaux arrĂȘtĂ©s furent rĂ©veillĂ©s pour connaĂźtre enfin leur sentence. Ce type d’offense se payait gĂ©nĂ©ralement de quelques mois d’exil. Quelle ne fut pas leur surprise (et leur dĂ©sespoir) lorsqu’ils furent conduit en place publique, informĂ©s de leur condamnation Ă mort, absous par un prĂȘtre et encapuchonnĂ©s pour leur fusillade devant des cercueils prĂȘts Ă ĂȘtre chargĂ©s… Ce n’est qu’Ă la derniĂšre seconde qu’un courrier apparut en carriole et dĂ©clara que le Tsar avait dĂ©cidĂ© de les gracier. ProfondĂ©ment marquĂ© par cette expĂ©rience, DostoĂŻevski se souvenait d’avoir pensĂ© « Si je ne meurs pas, si je ne suis pas tuĂ©, ma vie semblera soudain infinie, une Ă©ternitĂ© tout entiĂšre, chaque minute sera un siĂšcle. Je profiterai de chaque instant, je ne gaspillerai plus une seule seconde de ma vie. ». Certains s’apitoyĂšrent sur son sort, sur les annĂ©es de travaux forcĂ©s en SibĂ©rie qui suivirent. Mais cela le mettait en colĂšre : il Ă©tait content d’avoir vĂ©cu cette expĂ©rience et n’en tirait aucune amertume. Sans ce jour de dĂ©cembre 1849, disait-il, il aurait gĂąchĂ© sa vie. Jusqu’Ă sa mort, sa devise demeura « Faire le plus possible dans le moins de temps possible » et il continua d’Ă©crire frĂ©nĂ©tiquement, publiant roman sur roman – Crime et ChĂątiment, Les PossĂ©dĂ©s, Les FrĂšres Karamazov. – comme si chacun devait ĂȘtre le dernier.
La mise en garde : Si le sentiment de n’avoir rien Ă perdre vous motive, c’est certainement la mĂȘme chose pour d’autres. Il faut donc Ă©viter tout conflit avec ceux qui sont prĂ©cisĂ©ment dans cet Ă©tat d’esprit. Peut-ĂȘtre certaines personnes vivent-elles dans des conditions terribles ou ont, pour une raison quelconque, un comportement suicidaire. Dans tous les cas, elles sont dĂ©sespĂ©rĂ©es. Et les gens dĂ©sespĂ©rĂ©s donneront tout dans un combat. C’est un Ă©norme avantage. DĂ©jĂ abattus par la vie, ils n’ont plus rien Ă perdre. Pas vous. Ne vous frottez pas Ă eux.
La guerre en équipe
Vos idĂ©es les plus brillantes, vos stratĂ©gies les plus novatrices ne servent Ă rien si le groupe que vous dirigez et dont vous dĂ©pendez pour l’exĂ©cution de vos plans est irresponsable et improductif, et que tous ses membres donnent la prioritĂ© Ă leurs intĂ©rĂȘts personnels. Il faut tirer les leçons de la guerre : la structure d’une armĂ©e – hiĂ©rarchie et relations entre les parties constituant le tout – fait toute l’efficacitĂ© de la stratĂ©gie. Ce modĂšle militaire est trĂšs adaptable ; on peut l’appliquer Ă tous les groupes. Pour cela, il n’est besoin que d’une chose : avant de formuler une quelconque stratĂ©gie ou de passer Ă l’action, comprenez la structure du groupe. Il sera toujours temps de la modifier par la suite pour l’adapter Ă vos objectifs.
Loi 5 : Ăvitez les piĂšges du pouvoir partagĂ© – âLa stratĂ©gie du commandement contrĂŽlĂ©’
Ce que Greene nous en dit : Le problĂšme d’un groupe, quel qu’il soit, c’est que chaque individu a ses propres prioritĂ©s. Il faut donc Ă©tablir une voie hiĂ©rarchique au sein de laquelle les gens ne sentent pas brimĂ©s par votre influence, mais suivent le mouvement que vous impulsez. Chaque membre de l’Ă©quipe doit ĂȘtre investi dans son travail, mais Ă©vitez Ă tout prix de partager le commandement, de tomber dans le piĂšge des dĂ©cisions collectives.
Ce qu’on en retient :
Centralisez le pouvoir (mĂȘme si cela n’est pas « politiquement correct »), car en le partageant vous courrez assurĂ©ment Ă votre perte. Hannibal a remportĂ© la bataille de Cannes en 216 av. J.-C. contre les Romains, car ceux-ci Ă©taient dirigĂ©s par deux leaders en conflit sur la stratĂ©gie Ă adopter. Presque deux mille ans plus tard, FrĂ©dĂ©ric le Grand, roi de Prusse et chef des armĂ©es, vainquit l’alliance de cinq grandes puissances liguĂ©es contre lui lors de la guerre de Sept Ans, notamment parce que ses dĂ©cisions Ă©taient beaucoup plus rapides que celles de l’alliance, dont les pays devaient toujours se consulter avant le moindre mouvement. Ă l’inverse, Gallipoli fut perdue lors de la PremiĂšre guerre mondiale face Ă une poignĂ©e de Trucs sous-armĂ©e Ă cause d’un dĂ©faut d’ordres clairs et de cohĂ©sion entre divers officiers aux susceptibilitĂ©s exacerbĂ©es et autoritĂ©s Ă©quivalentes. En groupe, les gens rĂ©flĂ©chissent et agissent souvent de façon illogique et inefficace ; c’est pourquoi un commandement ne peut ĂȘtre partagĂ©. En groupe, les individus sont immĂ©diatement politiques : ils parlent et opĂšrent en fonction de l’image qu’ils veulent donner au sein du groupe, et non dans l’intĂ©rĂȘt de leur cause. Leur but est de plaire et de se vendre, non de gagner. LĂ oĂč un individu est courageux et crĂ©atif, un groupe se montre souvent pusillanime. La nĂ©cessitĂ© de parvenir Ă un compromis pour que chaque vanitĂ© y trouve son compte Ă©touffe toute crĂ©ativitĂ©. Le groupe a son propre esprit, et cet esprit est prudent, lent et sans imagination, voire irrationnel. Il faut donc jouer le jeu, et tout faire pour prĂ©server la concentration du pouvoir. Si vos ennemis se liguent contre vous, rĂ©jouissez-vous car la victoire vous est assurĂ©e.
La mise en garde : On ne tire rien de bon d’un commandement divisĂ©. Si un jour, on vous en propose un, ne cĂ©dez pas aux sirĂšnes de l’adage selon lequel l’union ferait la force, dĂ©clinez, car ce sera un Ă©chec et vous en serez tenu pour responsable. Mieux vaut prendre un poste moins Ă©levĂ© et laisser la place Ă quelqu’un d’autre.
Loi 6 : Divisez vos forces – âLa stratĂ©gie du chaos contrĂŽlĂ©’
Ce que Greene nous en dit : RapiditĂ© et facultĂ© d’adaptation sont des compĂ©tences cruciales pour mener une guerre. Pour vaincre, il faut ĂȘtre capable de se dĂ©placer avec souplesse et de prendre des dĂ©cisions plus vite que l’ennemi. Divisez vos forces en groupes indĂ©pendants qui agissent et prennent des dĂ©cisions de maniĂšre autonome. Ainsi, rien ne pourra arrĂȘter vos hommes ; une fois qu’ils ont compris la mission qui leur est demandĂ©s, vous pouvez leur faire confiance.
Ce qu’on en retient :
Pour vaincre, il faut ĂȘtre rapide et rĂ©actif. Formez des petites Ă©quipes agiles et autonomes ayant chacune une mission prĂ©cise. C’est ainsi que NapolĂ©on rĂ©organisa l’armĂ©e française avec le succĂšs qu’on connait. Depuis des milliers d’annĂ©es, on se battait de la mĂȘme façon : un commandant conduisait une grande armĂ©e unie contre un adversaire plus ou moins Ă©quivalent. Jamais il ne la divisait en petites unitĂ©s, car cela revenait Ă violer le sacro-saint principe selon lequel les forces devaient rester concentrĂ©es. En outre, des groupes dispersĂ©s Ă©taient plus difficiles Ă surveiller ; on en aurait perdu trop facilement le contrĂŽle durant la bataille. NapolĂ©on bouscula toutes ces convenances. Pendant les annĂ©es de paix entre 1800 et 1805, il rassembla diffĂ©rentes forces pour former la Grande ArmĂ©e, qui comptait 210 000 hommes. Il la divisa en plusieurs corps, chacun dotĂ© de sa cavalerie, de son infanterie, de son artillerie, etc., et chacun conduit par un marĂ©chal, souvent un jeune officier qui avait dĂ©jĂ fait ses preuves. Chaque unitĂ©, qui comptait entre 15 000 et 30 000 hommes, constituait une armĂ©e miniature, conduite par un NapolĂ©on miniature. L’avantage de ce systĂšme Ă©tait la rapiditĂ© avec laquelle chaque groupe se dĂ©plaçait. NapolĂ©on confiait des missions aux marĂ©chaux, puis les laissait les accomplir par eux-mĂȘmes. On ne perdait pas de temps Ă transmettre les ordres, et de petites unitĂ©s, moins chargĂ©es, Ă©taient beaucoup plus rapides. Au lieu d’une seule armĂ©e se dĂ©plaçant en ligne droite, NapolĂ©on dispersait et rassemblait sans cesse ses hommes, ce qui dĂ©stabilisait complĂštement l’ennemi. Pour unifier vos troupes, il vous faut trouver des exercices qui raffermissent leur confiance et les poussent Ă mieux se connaĂźtre. Vous verrez alors vos hommes dĂ©velopper une communication implicite, ainsi qu’une fine intuition de la dĂ©cision Ă prendre. Vous ne perdrez plus de temps en transmissions interminables de messages ou d’ordres, ni en surveillance rapprochĂ©e du champ de bataille. Il vous faut aussi structurer le groupe en fonction des forces et des faiblesses de vos hommes, ainsi qu’en fonction de leur appartenance sociale. Pour cela, vous devrez ĂȘtre Ă leur Ă©coute et les comprendre, mais aussi comprendre le monde dans lequel ils Ă©voluent. Ă l’image de Sherman durant la Guerre de SĂ©cession, qui assouplit la discipline militaire et « dĂ©mocratisa » ses forces pour compenser la diversitĂ© sociale de ses troupes, ne vous battez pas contre les particularitĂ©s de vos hommes. Mieux vaut savoir en tirer avantage ; c’est une façon d’augmenter votre propre force. Soyez crĂ©atif, adaptez la structure du groupe Ă vos besoins et gardez l’esprit aussi souple et modulable que l’armĂ©e que vous dirigez.
La mise en garde : Dans la mesure oĂč la structure de l’armĂ©e doit ĂȘtre adaptĂ©e aux individus qui la composent, cette rĂšgle absolue de la dĂ©centralisation est elle-mĂȘme flexible : certaines personnes rĂ©pondent mieux Ă une autoritĂ© ferme. MĂȘme si vous prĂ©fĂ©rez laisser de la marge Ă vos hommes, il y aura des moments oĂč il faudra serrer la vis et restreindre les libertĂ©s. Un bon stratĂšge ne grave rien dans le marbre ; il rĂ©organise son armĂ©e lorsque les circonstances l’exigent.
Loi 7 : Transformez la guerre en une croisade – âLa stratĂ©gie du moral’
Ce que Greene nous en dit : Pour que vos hommes restent motivĂ©s et gardent le moral, le secret est de les obliger Ă penser moins Ă eux et davantage au groupe. Ils doivent s’investir pour la dĂ©fense d’une cause, dans une croisade contre l’ennemi abhorrĂ©. Leur survie dĂ©pend du succĂšs de l’armĂ©e tout entiĂšre.
Ce qu’on en retient :
Efforcez-vous de motiver vos hommes et de dĂ©velopper leur conscience communautaire. Si Cromwell est devenu l’un des plus grands dirigeants militaires de l’histoire, si Hannibal est parvenu Ă traverser les Alpes et Ă prendre l’armĂ©e romaine par surprise, c’est grĂące au moral et Ă la discipline dont faisaient preuve leurs hommes. Comme eux, pensez Ă recruter vos collaborateurs avec soin, veillez sur eux et assurez-vous de dĂ©fendre une cause commune. En rĂ©alitĂ©, le problĂšme ne vient pas de ce que vous faites, mais du fait que vous le fassiez trop tard. Vous commencez Ă rĂ©aliser l’importance du moral et de la solidaritĂ© quand c’est dĂ©jĂ un problĂšme, alors qu’il faudrait s’en prĂ©occuper bien avant. Toute l’erreur est lĂ . Observez l’histoire des grands leaders militaires : pour que les soldats travaillent ensemble et gardent le moral, il faut qu’ils se sentent appartenir Ă un groupe et que celui-ci se batte pour une cause juste. Cela les distrait de leurs propres intĂ©rĂȘts et satisfait un besoin viscĂ©ral que nous avons tous d’appartenir Ă quelque chose de plus grand. Plus ils pensent au groupe, moins ils pensent Ă eux-mĂȘmes. Ainsi, leur rĂ©ussite ne peut se distinguer de celle du groupe ; leurs intĂ©rĂȘts propres finissent par coĂŻncider avec l’intĂ©rĂȘt commun. Dans ce genre d’armĂ©e, les hommes savent que leur Ă©goĂŻsme les en exclura. Ils s’accordent donc petit Ă petit Ă la conscience communautaire. N’oubliez pas que la bonne humeur est contagieuse : intĂ©grez des gens dans un groupe animĂ©, solidaire ; ils s’adapteront tout de suite. S’ils se rebellent et se montrent Ă©gocentriques, ils seront immĂ©diatement mis Ă l’Ă©cart et stigmatisĂ©s. Vous devez amorcer cette dynamique dĂšs que vous prenez la tĂȘte du groupe ; elle ne peut venir que d’en haut, c’est-Ă -dire de vous.
La mise en garde : Si l’enthousiasme est contagieux, l’inverse l’est aussi : la peur comme le mĂ©contentement se rĂ©pandent dans une Ă©quipe comme le feu sur des brindilles. La seule façon de le gĂ©rer est de l’Ă©touffer avant que cela ne tourne Ă la panique et Ă la rĂ©bellion. En 58 av. J.-C., lors de la guerre des Gaules, Jules CĂ©sar se prĂ©parait Ă combattre le gĂ©nĂ©ral germanique Arioviste. Des rumeurs circulaient au sujet de la fĂ©rocitĂ© et du nombre des forces adverses ; l’armĂ©e Ă©tait paniquĂ©e, au bord de la mutinerie. CĂ©sar agit sans tarder : d’abord, il fit arrĂȘter les colporteurs de rumeurs. Puis, il s’adressa lui-mĂȘme Ă ses soldats, leur rappelant le courage de leurs ancĂȘtres qui avaient combattu et vaincu les Germains. Si leurs descendants Ă©taient des faibles, tant pis pour eux, ils n’Ă©taient pas dignes de se battre ; apparemment, seule la XĂšme lĂ©gion rĂ©sistait Ă la panique. Il ne partirait qu’avec elle. Alors que CĂ©sar s’apprĂȘtait Ă marcher avec les tĂ©mĂ©raires de la XĂšme lĂ©gion, le reste des hommes, couverts de honte, suppliĂšrent Jules CĂ©sar de leur pardonner et de les laisser combattre. Un peu hĂ©sitant, il finit par accepter et son armĂ©e, qui s’Ă©tait montrĂ©e si lĂąche, se battit comme une meute de lions. Dans ce genre de situation, vous devez agir comme CĂ©sar et renverser le flux de panique. Faites appel Ă leur fiertĂ© et Ă leur dignitĂ©, afin qu’ils regrettent ce moment de faiblesse et de folie. Rappelez-leur ce qu’ils ont dĂ©jĂ accompli et montrez-leur combien ils font honte Ă leur idĂ©al. Cela les rĂ©veillera et renversera la dynamique.
La guerre défensive
Ătre sur la dĂ©fensive n’est pas signe de faiblesse ; au contraire, c’est le comble de la sagesse stratĂ©gique, une façon extrĂȘmement efficace de faire la guerre. Ses exigences sont simples : d’abord, vous devez utiliser vos ressources au maximum, vous battre en faisant preuve d’Ă©conomie et seulement dans des batailles nĂ©cessaires. Il vous faut ensuite savoir comment et quand battre en retraite et duper l’ennemi afin de le pousser Ă l’erreur. Enfin, il vous suffit d’attendre patiemment qu’il soit Ă©puisĂ© avant de lancer la contre-attaque. Dans un monde oĂč l’agressivitĂ© directe est fort mal perçue, vous tirez un avantage dĂ©cisif du fait de savoir vous battre dĂ©fensivement, en laissant l’autre faire le premier pas pour profiter de ses erreurs et le dĂ©truire, tout en ternissant son image. Ainsi, vous ne perdez ni temps ni Ă©nergie, et restez prĂȘt pour la prochaine bataille.
Loi 8 : Choisissez vos batailles avec prĂ©caution – âLa stratĂ©gie de l’Ă©conomie’
Ce que Greene nous en dit : Nous avons tous nos limites : les talents, comme l’Ă©nergie, ne vont que jusqu’Ă un certain point. Vous devez connaĂźtre vos limites et savoir choisir vos batailles. Pensez aux coĂ»ts implicites d’une guerre : le temps perdu, les tractations diplomatiques gaspillĂ©es, l’ennemi qui voudra se venger. Il vaut mieux parfois attendre, affaiblir son adversaire dans l’ombre au lieu de l’affronter directement.
Ce qu’on en retient :
Faites en sorte que vos rĂ©ussites ne vous ruinent pas. Ăvitez les victoires Ă la Pyrrhus, car elles sont vides de sens. Pour ne pas confronter directement Philippe II d’Espagne dans une guerre longue et coĂ»teuse, Ălisabeth IĂšre entreprit de l’acculer financiĂšrement (en s’attaquant Ă l’Ă©conomie de son pays), et de le forcer ainsi Ă abandonner ses espoirs de reconquĂȘte catholique. Comme elle, adaptez vos buts Ă vos moyens. La prochaine fois que vous aurez Ă prĂ©parer une campagne, mettez de cĂŽtĂ© vos plans sur la comĂšte, vos rĂȘveries et vos objectifs habituels ; n’Ă©crivez aucune stratĂ©gie. Passez du temps Ă examiner les moyens dont vous disposez, les outils et le matĂ©riel avec lesquels vous allez devoir travailler. VoilĂ qui vous aidera Ă enraciner vos plans dans la rĂ©alitĂ©, et non dans le fantasme. Ătudiez vos propres atouts, vos avantages politiques potentiels, le moral des troupes et tout ce que vous pouvez en faire. Ce n’est qu’ensuite que vous pourrez vous fixer un but rĂ©aliste. Non seulement vos stratĂ©gies seront plus justes, mais elles seront aussi plus crĂ©atives et plus efficaces. Si vous faites les choses Ă l’envers, que vous rĂȘvez de ce que vous dĂ©sirez pour ensuite plaquer la rĂ©alitĂ© sur vos rĂȘves, vous allez droit vers la dĂ©faite.
La mise en garde : Ăconomie ne signifie pas avarice, et une Ă©conomie juste ne signifie pas que vous deviez absolument thĂ©sauriser. Ătre Ă©conome revient Ă trouver le bon compromis, le niveau Ă partir duquel vos coups portent, mais sans vous ruiner. Ă ĂȘtre trop Ă©conome, vous vous ruinez plus encore et, la guerre s’Ă©ternisant, vos coĂ»ts grimpent, sans pour autant vous donner les moyens de porter le coup fatal. Dans cette dynamique, appliquez cela Ă l’adversaire, forcez-le Ă gaspiller autant que possible. C’est la tactique du raid, qui l’oblige Ă gĂącher de l’Ă©nergie en vous pourchassant. Faites-lui croire qu’une grosse attaque vous dĂ©truira, puis faites Ă©chouer cette attaque en prolongeant la guerre : il perdra du temps et des ressources. Un adversaire frustrĂ© qui gaspille son Ă©nergie en frappant lĂ oĂč cela n’atteint pas finit toujours par commettre des erreurs et rĂ©vĂ©ler des faiblesses.
Loi 9 : Renversez la tendance – âLa stratĂ©gie de la contre-attaque’
Ce que Greene nous en dit : Faire le premier pas, avoir l’initiative du combat, c’est souvent se mettre en position de faiblesse : on expose sa stratĂ©gie et on limite ses options. PrĂ©fĂ©rez le pouvoir de l’immobilitĂ© et du silence, et obligez l’ennemi Ă entamer la marche : pour la contre-attaque, vous aurez le choix et garderez toutes les cartes en main. Si l’adversaire est agressif, appĂątez-le et poussez-le Ă une attaque sĂ©vĂšre qui l’affaiblira.
Ce qu’on en retient :
La patience est une tactique redoutable pour dĂ©stabiliser votre adversaire. En 1932, Roosevelt se prĂ©senta comme candidat dĂ©mocrate Ă la prĂ©sidentielle contre le rĂ©publicain Herbert Hoover. Face aux critiques et Ă l’agressivitĂ© de Hoover, Roosevelt restait confiant et maĂźtre de ses Ă©motions. Hoover en revanche, s’en prenant Ă sa faiblesse physique suite Ă la polio, rĂ©vĂ©la une nature mesquine et brutale qui dĂ©plut aux citoyens. AprĂšs une victoire Ă©crasante, Roosevelt passa de l’inactivitĂ© complĂšte Ă une offensive puissante qui surprit tout le monde. C’est le principe du ju-jitsu, qui enseigne l’attente du premier coup et l’utilisation de la force et de l’Ă©lan adverse pour le dominer, la transformation des atouts de l’opposant en handicap, Ă l’image de la stratĂ©gie de l’athĂ©nien ThĂ©mistocle qui attira la gigantesque armĂ©e de XerxĂšs dans le dĂ©troit de Salamine, oĂč la taille de cette armĂ©e devint une calamitĂ©, l’empĂȘchant de manĆuvrer et la rĂ©duisant Ă une ligne aisĂ©ment maĂźtrisable plutĂŽt qu’Ă un bloc de front.
La mise en garde : La stratĂ©gie de la contre-attaque ne peut ĂȘtre utilisĂ©e dans toutes les situations : parfois, il vaut mieux prendre l’initiative et garder le contrĂŽle en mettant l’adversaire sur la dĂ©fensive avant qu’il n’ait eu le temps de rĂ©flĂ©chir. Pour vous dĂ©cider, vous devez observer la situation de prĂšs. Si l’ennemi est trop intelligent pour perdre patience et vous attaquer, ou si vous avez trop Ă perdre en attendant, prenez les devants.
Loi 10 : CrĂ©ez une prĂ©sence menaçante – âLa stratĂ©gie de la dissuasion’
Ce que Greene nous en dit : Le meilleur moyen de repousser un agresseur est d’Ă©viter la premiĂšre attaque. Forgez-vous une rĂ©putation : vous ĂȘtes un peu fou, par exemple. Vous combattre ? Cela n’en vaut pas la peine. Il vaut parfois mieux laisser planer le doute : si votre adversaire n’est pas sĂ»r de ce qu’un affrontement avec vous peut lui coĂ»ter, il ne cherchera pas Ă le savoir.
Ce qu’on en retient :
La stratĂ©gie de la dissuasion implique de renvoyer de vous-mĂȘme une image forte et agressive. Il s’agit purement et simplement d’intimidation. Cinq mĂ©thodes vous permettent d’atteindre cet objectif : surprendre votre ennemi par un acte inattendu et audacieux, montrer que vous n’avez pas peur et devenir vous-mĂȘme la menace, agir de maniĂšre irrationnelle afin de surprendre l’adversaire, exploiter ses psychoses naturelles comme la paranoĂŻa, et vous crĂ©er une image de personne endurcie, brutale, imprĂ©visible et n’ayant rien Ă perdre. Le porc- Ă©pic a l’air un peu bĂȘte, un peu lent ; on dirait une proie facile. Mais lorsqu’il est menacĂ© ou attaquĂ©, il dresse ses piquants. Si on le touche, on est sĂ»r d’ĂȘtre blessĂ©, et on sait que lorsqu’on essaie d’extraire les piquants, ils ne s’enfoncent que plus profondĂ©ment dans la chair. Ceux qui ont dĂ©jĂ eu affaire Ă un porc-Ă©pic apprennent Ă ne jamais recommencer. Et mĂȘme sans en avoir fait l’expĂ©rience, la plupart des gens savent l’Ă©viter et le laisser tranquille.
La mise en garde : Le but d’une stratĂ©gie de dissuasion est de dĂ©courager l’attaque ; une action ou une prĂ©sence menaçante sont en gĂ©nĂ©ral suffisantes. Toutefois, dans certaines situations, on atteint le mĂȘme objectif en faisant l’idiot et le modeste. Donnez-vous l’air inoffensif, battu d’avance, et les gens vous laissent parfois tranquille. Une image de benĂȘt peut vous faire gagner du temps. C’est ainsi que Claude survĂ©cut au monde traĂźtre et violent de la politique romaine et qu’il parvint au trĂŽne impĂ©rial : il avait l’air trop inoffensif pour que l’on s’en inquiĂšte.
Loi 11 : Troquez l’espace contre le temps – âLa stratĂ©gie du repli’
Ce que Greene nous en dit : Battre en retraite face Ă un ennemi solide est un signe de force et d’intelligence, et non de faiblesse. En rĂ©sistant Ă la tentation de rĂ©pondre Ă l’agression par l’agression, vous gagnez un temps prĂ©cieux : celui de rĂ©cupĂ©rer, de rĂ©flĂ©chir, de prendre du recul. Parfois, on peut accomplir beaucoup en ne faisant rien.
Ce qu’on en retient :
Il faut parfois savoir mettre son ego de cĂŽtĂ© et prendre du recul pour gagner du temps et mieux analyser la situation. AprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©vincĂ© du parti communiste en 1934 par un groupe d’intellectuels chinois qui considĂ©raient la rĂ©volution paysanne comme un concept obsolĂšte, Mao finit par reprendre le contrĂŽle de l’ArmĂ©e rouge pour entamer la Longue Marche, qui allait se solder par la victoire du communisme. Cette pĂ©riode de repli comporte une symbolique religieuse, mystique. Ce n’est qu’en s’Ă©chappant dans le dĂ©sert que MoĂŻse et le peuple juif consolidĂšrent leur identitĂ© et devinrent une force politique et sociale majeure. Mahomet, de mĂȘme, s’exila de La Mecque Ă un moment de grand danger et se mit en retraite. Jusqu’Ă HadĂšs dans L’OdyssĂ©e, chaque mythologie a son hĂ©ros retirĂ© en quĂȘte de lui-mĂȘme. Si MoĂŻse Ă©tait restĂ© en Ăgypte pour se battre, l’histoire du peuple juif se serait probablement arrĂȘtĂ©e lĂ . Si Mahomet avait affrontĂ© ses ennemis Ă La Mecque, il aurait Ă©tĂ© Ă©crasĂ© et aussitĂŽt oubliĂ©. Le but de cette stratĂ©gie de repli est de refuser le combat quel qu’il soit, physique ou psychologique. C’est une dĂ©fense, pour se protĂ©ger, mais aussi une stratĂ©gie positive : un agresseur qui ne peut combattre se met en colĂšre ; il est donc plus facile Ă dĂ©stabiliser.
La mise en garde : Le repli n’est pas une fin en soi, ni une stratĂ©gie durable. Un jour ou l’autre, vous devrez faire face et vous battre. Si vous ne le faites pas, ce sera un aveu de faiblesse et l’ennemi finira alors par gagner. On ne peut Ă©viter le conflit en permanence : la retraite n’est jamais que temporaire.