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Fans inconditionnels : une approche rĂ©volutionnaire du service client

Ken Blanchard, professeur d’université et co-auteur à succès de plusieurs ouvrages pratiques de stratégie commerciale, inscrit cet opus en troisième place dans la pentalogie initiée par le One Minute Manager, chaque tome traitant un aspect différent d’une stratégie marketing et décisionnaire efficace. Si les deux premiers se centraient spécifiquement sur la notion de leadership, ce troisième volet co-écrit avec Sheldon Bowles, fondateur de la franchise Domo Gas, se focalise sur les composantes incontournables d’un service client incomparable.

La grande originalitĂ© de ces ouvrages rĂ©side dans le parti pris leur genre narratif, puisqu’ils revĂŞtent la forme de fables ou de contes se dĂ©roulant dans le milieu de l’entreprise. Il ne faut pas s’y tromper : si le ton est souvent lĂ©ger et le choix narratif primesautier, ces ouvrages, et tout particulièrement celui-ci, sont terriblement sĂ©rieux et tĂ©moignent de stratĂ©gies dont l’efficacitĂ© n’est plus Ă  dĂ©montrer. Dans Raving Fans, nous suivons ainsi les aventures d’un Chef de Secteur fraĂ®chement appointĂ© Ă  son poste, qui, soucieux du turnover constatĂ© Ă  cette place et de l’état dĂ©plorable des relations clients au sein de sa compagnie, s’interroge sur le conseil de son PrĂ©sident de ne s’intĂ©resser qu’à la qualitĂ© de ses produits, critère censĂ© ĂŞtre le seul pertinent quant Ă  la satisfaction des consommateurs. C’est alors qu’il reçoit la visite de Charlie, amateur de golf et de balades en dĂ©capotable, qui s’avère ĂŞtre sa Marraine Bonne FĂ©e, malgrĂ© son indĂ©niable appartenance au genre masculin, pour une question de quotas Ă©galitaires cĂ©lestes dans une branche trop majoritairement dominĂ©e par les femmes… Charlie va ainsi entraĂ®ner le Chef de Secteur dans une quĂŞte humoristique des Trois Secrets Magiques du Service Client IdĂ©al, qui seul permettra de dĂ©passer la simple satisfaction d’un besoin ou d’une envie des clients pour les transformer en Fans Inconditionnels.

Premier secret : DĂ©finis ce que tu dĂ©sires

Après une première rencontre quelque peu chaotique en raison de l’incrĂ©dulitĂ© du Chef de Secteur, malgrĂ© une propension inexplicable de Charlie la Marraine Bonne FĂ©e Ă  apparaĂ®tre et disparaĂ®tre sans difficultĂ© dans des pièces ou vĂ©hicules fermĂ©s, ce dernier qui se prĂ©sente non comme spĂ©cialiste mais bien comme la personnification mĂŞme du Service Client, entraĂ®ne son filleul dans le premier dĂ©fi Ă  relever pour parvenir au premier secret, direction le parcours de golf proche. C’est l’occasion d’une discussion entre l’homme et la « fĂ©e Â» sur l’état gĂ©nĂ©ral actuel du service client dans la compagnie du Chef de Secteur et dans celles de ses principaux concurrents : le constat est que les clients « satisfaits Â» le sont uniquement pour des raisons rĂ©voltantes, Ă  savoir que le service client est dĂ©plorable partout, et que si le produit est correct, il s’estimera « satisfait Â», ne s’attendant plus Ă  rien qui dĂ©passe le mĂ©diocre quant au service. « Ils ne sont satisfaits que parce que leurs attentes sont au plus bas et que personne ne propose mieux. Le slogan de ton service client pourrait ĂŞtre Pas pire que la concurrence. Â» Bien que lĂ©gèrement vexĂ©, le Chef de Secteur, qui se posait lui-mĂŞme ce type de questions en dĂ©couvrant son bureau et ses nouvelles responsabilitĂ©s le matin mĂŞme, en convient. Il rĂ©flĂ©chit lui-mĂŞme Ă  sa propre conception de ce qui est « satisfaisant Â» et acceptable, et rĂ©alise Ă  quel point ses propres attentes sur ce point en tant que client ont Ă©tĂ© conditionnĂ©es Ă  la baisse.

Estimant que cette prise de conscience salutaire le rend prĂŞt Ă  s’approcher du premier secret, Charlie l’entraĂ®ne cette fois au centre commercial voisin, et plus prĂ©cisĂ©ment dans une grande surface dont le Chef de Secteur ne reconnaĂ®t pas le nom, Varley. Comme il s’étonne de voir une marque locale au sein d’un centre commercial abritant la majoritĂ© des enseignes nationales, Charlie lui fait valoir que les ventes de Varley au mètre carrĂ© reprĂ©sentent près du double de celles des grandes enseignes. Plusieurs surprises attendent le Chef de Secteur. L’accueil tout d’abord, puisque que les deux hommes sont immĂ©diatement saluĂ©s par un employĂ© souriant leur agrafant un Ĺ“illet blanc Ă  la veste en leur indiquant que du cafĂ© leur sera offert un peu plus loin et les invitant Ă  revenir vers lui ou n’importe quel employĂ© en cas de besoin. Le Chef de Secteur est ravi et remarque que tout le monde devrait procĂ©der de cette manière, ce que Charlie confirme avec un sourire, avant de mettre son filleul un peu plus Ă  l’épreuve. Il sait que l’anniversaire de sa femme approche et, comme toute bonne fĂ©e, il sait Ă©galement exactement ce qu’elle souhaite recevoir comme cadeau : le dernier livre de Tony Robbins. Celui-ci est malheureusement affichĂ© en rupture de stock temporaire… mais Charlie invite son filleul Ă  solliciter tout de mĂŞme l’employĂ©e en charge du rayon, qui porte comme tous ses collègues un Ĺ“illet rouge et dont le badge comme celui de tous les employĂ©s annonce le prĂ©nom, Linda. Souriante, avenante, Linda annonce ĂŞtre elle-mĂŞme en train de lire l’ouvrage recherchĂ© et fĂ©licite le Chef de Secteur pour son choix, avant de lui demander combien de temps il pense passer dans le magasin. « Eh bien nous flânons un peu mais pas plus d’une vingtaine de minutes je pense Â» prĂ©cise-t-il en rĂ©ponse. C’est amplement suffisant ! Linda annonce qu’une boutique un peu plus loin doit encore disposer de quelques exemplaires, et qu’elle va s’empresser d’aller lui en chercher un. Elle aura l’ouvrage disponible et emballĂ© dans du papier cadeau d’ici un quart d’heure, si cela lui convient. Le Chef de Secteur acquiesce, stupĂ©fait. Il va ainsi de surprise en surprise, Charlie lui prĂ©cisant qu’il ne paiera pas le cadeau plus cher malgrĂ© le service particulier, puis l’entraĂ®ne vers une aire de jeu rĂ©servĂ©e aux enfants et surveillĂ©e par plusieurs employĂ©s en charge de leur confort et de leur sĂ©curitĂ©, avant de lui faire dĂ©couvrir les toilettes du magasin, immenses, d’une propretĂ© inĂ©dite, mettant Ă  disposition des clients tout le confort imaginable, tant du point de vue de l’hygiène que du bien-ĂŞtre. « Mais comment est-ce possible ? s’interroge le Chef de Secteur. Comment peuvent-ils se permettre d’offrir des Ĺ“illets Ă  tout le monde, de dĂ©dier du personnel Ă  un système de garderie, d’aller chercher les produits manquants chez la concurrence sans que la facture finale s’en ressente et de se payer de tels toilettes ? Â». Charlie l’invite alors Ă  rencontrer l’homme qui les attend en rĂ©alitĂ© depuis le dĂ©but : Leo Varley, le fondateur de la grande surface en personne.

Le bureau de Leo prĂ©sente d’emblĂ©e deux particularitĂ©s : d’abord, il est situĂ© au cĹ“ur du magasin, au vu et au sus de l’ensemble de la clientèle, et d’autre part, il est affichĂ© sur la porte une plaque indiquant : « Leo Varley. Comment puis-je vous ĂŞtre utile ? Entrez mĂŞme pour un simple bonjour ! Â» Leo lui-mĂŞme est affable et plein d’humour, et lorsque le Chef de Secteur lui demande comment il peut se permettre d’offrir des fleurs aux clients, d’entretenir une aire de jeux et des toilettes de luxe et d’aller rĂ©cupĂ©rer les produits manquants dans d’autres boutiques, il lui rĂ©pond simplement « Comment pourrais-je me permettre de ne pas le faire ? Â». Il Ă©voque alors la « vision Â» attachĂ©e au concept de son magasin : « la vision dit Ĺ“illets et joie de faire des courses chez nous. Elle ne dit pas fleurs inutiles, rupture de stock et pas la peine de venir chez nous si vous avez des enfants. Â» Il lui confie enfin, sorti d’un tiroir, un bracelet en or portant un Ă©cusson, sur lequel est gravĂ© le premier secret du Service Client IdĂ©al : DÉFINIS CE QUE TU DÉSIRES.

Quelque peu déçu par le prosaĂŻsme d’une devise assez Ă©loignĂ©e des formules magiques qu’il commençait Ă  imaginer, le Chef de Secteur s’entend rĂ©pondre par Leo et Charlie qu’il est lui-mĂŞme la source de chaque secret, que l’important est la mĂ©thode, le système, par lequel il atteindra au Service Client IdĂ©al, et qu’il lui faut juste appliquer ce que le premier secret lui propose : dĂ©finir sa vision. Charlie et son filleul quittent Leo pour aller rĂ©cupĂ©rer le cadeau d’anniversaire, qui les attend comme emballĂ© et au mĂŞme prix qu’en rayonnage auprès de Linda. Le Chef de Service profite de la remise de son achat pour interroger Linda sur ses mĂ©thodes peu communes de satisfaire la demande des clients. Elle lui explique que la politique de la maison est de satisfaire le client par tout moyen lorsque cela est possible. Elle ajoute que contrairement Ă  son employeur prĂ©cĂ©dent qui concevait l’évaluation des employĂ©s comme dĂ©fouloir en ne relevant que les manquements, ici le système se fonde sur une reconnaissance des rĂ©ussites et initiatives du personnel, et vise Ă  aider plutĂ´t qu’à sanctionner les insuffisances.

Sur le chemin de la sortie, le Chef de Secteur et sa Marraine Bonne FĂ©e passent les cabines d’essayage qui annoncent : « Pas de limitation du nombre d’articles essayables en cabine : notre personnel est par ailleurs ravi d’aller rĂ©cupĂ©rer d’autres couleurs ou tailles dans le magasin ou de vous conseiller si besoin ! Â». Le Chef de Secteur signale immĂ©diatement l’affiche Ă  Charlie et se rĂ©jouit Ă  l’idĂ©e d’amener son Ă©pouse ici, celle-ci ayant horreur de devoir chaque fois se rhabiller et aller chercher une taille au-dessus ou en dessous dans les rayons, ou de ne pouvoir essayer qu’une ou deux tenues Ă  la fois. Et ce, mĂŞme si le magasin est plus Ă©loignĂ© que ses frĂ©quentations habituelles, uniquement pour ce service particulier… Charlie lui fait remarquer qu’en effet, une personne sur cent va tenter de dĂ©rober un vĂŞtement, et que limiter les essayages pour ce seul ruffian revient Ă  insulter les 99 autres clients honnĂŞtes. Tandis que le Chef de Secteur mĂ©dite sur ces premières rĂ©vĂ©lations, nos deux protagonistes se mettent en route pour rendre visite Ă  une autre filleule de Charlie.

Au supermarchĂ©-Ă©picerie Sally’s Market, le Chef de Secteur va expĂ©rimenter avec Judy, l’assistante, puis avec Sally elle-mĂŞme, une seconde forme de service client, une vision diffĂ©rente mais tout aussi exceptionnelle que celle de Leo. Du service de voiturier permettant aux clients de ne pas perdre de temps Ă  chercher une place de parking et d’emprunter directement le tapis rouge menant Ă  l’accueil, Ă  l’assistance personnalisĂ©e d’un conseiller volant en magasin, en passant par un environnement d’une propretĂ© irrĂ©prochable et un système informatisĂ© de disponibilitĂ© des produits d’une liste avec prĂ©sence ou absence en magasin et prix et promotions, ou encore une mise Ă  disposition de caisses automatiques et de cirage de chaussures, le Chef de Secteur est conquis. Judy ne se contente pas d’ailleurs de conseils pratiques sur le prix ou la disponibilitĂ© des produits de sa liste, mais discute Ă©galement des actualitĂ©s sur lesdits produits, lui apprend quelques informations sur la qualitĂ© nutritionnelle de certains de ses choix tout en lui faisant dĂ©couvrir d’autres produits moins chers et plus sains. Le Chef de Secteur comprend alors pourquoi son voisin, qui est un habituĂ© de ce supermarchĂ© qu’il ne connaissait pas lui-mĂŞme, accepte de faire autant de kilomètres pour ses courses hebdomadaires exclusivement au Sally’s Market. Sa discussion avec Sally elle-mĂŞme va lui permettre d’apprĂ©hender plus prĂ©cisĂ©ment le sens du premier secret : il doit dĂ©finir une vision parfaite du service qu’il veut fournir Ă  ses clients, centrĂ©e sur le client lui-mĂŞme. Sally, qui avait acquis ce magasin et devait rĂ©gler d’importants remboursements, en Ă©tait arrivĂ©e Ă  avoir honte de son magasin, qu’elle pensait ne pas avoir les moyens d’amĂ©liorer et d’entretenir. La première Ă©tape fut de dĂ©finir sa vision de ce qu’aurait dĂ» ĂŞtre un magasin parfait, offrant Ă  la fois les avantages d’un supermarchĂ© et ceux d’une Ă©picerie, Ă  la fois la modernitĂ© et l’abondance des grandes enseignes et la proximitĂ© et la personnalisation du lien des petites, tout en apportant des services qu’elle n’avait vus nulle part ailleurs mais qu’elle-mĂŞme aurait apprĂ©ciĂ© en tant que cliente comme la possibilitĂ© de ne pas perdre autant de temps Ă  se garer. La seconde Ă©tape fut de confronter cette vision Ă  la rĂ©alitĂ© de son affaire, et de lister les divergences.

Emballé et convaincu du vrai pouvoir de Charlie, le Chef de Secteur sollicite impatiemment de sa Marraine la clef lui permettant de passer de cette vision à la réalité de cette réussite qu’il a pu constater en personne tant chez Sally que chez Leo. Mais Charlie s’éclipse, lui indiquant que pour réaliser une vision encore faut-il en avoir une, et lui promet de revenir lorsque tel sera le cas.

Le Chef de Secteur, dĂ©sormais conscient de ce qu’il ne veut plus de clients « satisfaits Â» mais bel et bien atteindre Ă  l’idĂ©al de crĂ©er des Fans Inconditionnels, passe les jours suivants Ă  rĂ©flĂ©chir au premier secret : il lui faut affiner sa vision, puis la confronter Ă  l’état rĂ©el de la situation de sa compagnie. Il s’y attelle dans l’attente fiĂ©vreuse du retour de sa Marraine Bonne FĂ©e.

Second secret : dĂ©couvre ce que dĂ©sire le client

Quelques jours plus tard enfin, le tĂ©lĂ©phone sonne Ă  son bureau et la voix dĂ©sormais familière de Charlie lui propose une nouvelle partie de golf. C’est toutefois sur le parking d’une usine de fabrication que Marraine Bonne FĂ©e et filleul se retrouvent directement, Charlie estimant finalement malgrĂ© son amour du jeu qu’il serait dĂ©raisonnable de perdre du temps. C’est dans le hall d’entrĂ©e dĂ©corĂ© de nombreuses plaques citant les revues positives des clients de l’usine et de plusieurs rĂ©compenses en tant que Fournisseur de l’AnnĂ©e que le Chef de Secteur fait la connaissance de Bill, directeur de la manufacture et autre filleul de Charlie. Bill Ă©valuant ses progrès sous l’œil bienveillant de Charlie, l’estime prĂŞt Ă  apprendre le second secret, et l’invite Ă  regarder au dos de l’écusson supportant le premier, que le Chef de Secteur aurait jurĂ© ĂŞtre vierge jusqu’à prĂ©sent. Il y est dĂ©sormais gravĂ© la maxime suivante : DÉCOUVRE CE QUE DÉSIRE LE CLIENT.

De nouveau lĂ©gèrement déçu, le Chef de Secteur Ă©coute pourtant attentivement l’interprĂ©tation concrète que fait Bill de ce second secret. L’étape suivante sera ainsi de dĂ©couvrir la vision de ses clients et d’ajuster la sienne autant que nĂ©cessaire. Sa première rĂ©action est Ă©videmment de s’insurger sur l’apparente incohĂ©rence de ce second secret au regard du premier, puisqu’à quoi bon parvenir Ă  une vision prĂ©cise et idĂ©ale si c’est pour finalement la modeler en fonction de celle du client ? Pour avoir une base de connaissance suffisante Ă  opposer au client, afin de limiter et d’affiner les dĂ©sirs de ce dernier, lui rĂ©pond plus ou moins Bill. Il l’invite Ă  imaginer une discussion portant sur le cheeseburger au bacon idĂ©al. Si la vision du client inclut du pain viennois et du roquefort, mais que lui-mĂŞme n’a pas au prĂ©alable la moindre idĂ©e de ce que devrait ou ne devrait pas contenir un cheeseburger au bacon, comment pourra-t-il ajuster ou dĂ©fendre sa vision efficacement ? Savoir mĂŞme ce qui est Ă  ajuster ou ce qui est parfait ? Savoir si c’est sa vision ou celle du client qui est imparfaite ? Il souligne alors l’ensemble des services que le Chef de Secteur, pourtant enchantĂ©, n’a pas trouvĂ© chez Sally : pas de photomaton, pas d’aide au port des sacs après l’achat… services pourtant proposĂ©s par son supermarchĂ© habituel, mais qui ne lui ont aucunement manquĂ©, et ne l’ont pas empĂŞchĂ© de dĂ©crĂ©ter le service fourni par Sally très largement supĂ©rieur Ă  tout ce qu’il avait pu expĂ©rimenter auparavant. Par ailleurs, la vision du client va souvent porter sur deux ou trois points de dĂ©tail prĂ©cis : la vision du producteur doit ĂŞtre globale et intĂ©grer tous les points possibles, en faisant des choix pour chaque point. Et enfin, la troisième interaction entre la vision du client et celle du producteur… doit ĂŞtre de savoir renoncer au client si elles sont irrĂ©mĂ©diablement incompatibles, plutĂ´t que de tenter de satisfaire tous les besoins, pour tout le monde.

Bill et Charlie s’amusent de son indignation Ă  l’idĂ©e d’éconduire des clients potentiels, en lui rappelant qu’aucun fabriquant de voitures de sport ne cherchera Ă  produire un modèle de coupĂ© qui fasse aussi camionnette de livraison et vĂ©hicule tout terrain. Il faut centrer sa vision sur une fenĂŞtre dĂ©terminĂ©e, et admettre que cette fenĂŞtre ne permettra de voir que certains clients. Il sera possible de se dĂ©caler lĂ©gèrement Ă  droite ou Ă  gauche pour apercevoir certains autres clients pas trop Ă©loignĂ©s, mais impossible de voir le monde entier. Pensif, le Chef de Secteur demande alors comment dĂ©couvrir la vision des clients. « En leur demandant Â», rĂ©pond simplement Bill, avant de dĂ©velopper ce raisonnement en s’appuyant sur deux fondamentaux : savoir qui sont ses clients, et savoir interprĂ©ter tant ce qu’ils disent, que, plus important peut-ĂŞtre, ce qu’ils ne disent pas.

Le Chef de Secteur rĂ©alise ainsi dans un premier temps qu’il ne connaĂ®t finalement que très mal l’étendue de ce que recouvre cette « clientèle Â» non pas Ă  seulement satisfaire, mais Ă  transformer en Fans Inconditionnels. Bill lui explique le fonctionnement de sa propre usine, qui est spĂ©cialisĂ©e dans la manufacture de boĂ®tiers mĂ©talliques servant Ă  fabriquer des ordinateurs. InterrogĂ© sur les « clients Â» de Bill, le Chef de Secteur ne pense d’abord qu’aux chargĂ©s d’achats des fabricants utilisant ces boĂ®tiers pour leurs propres produits, dont la première vision est gĂ©nĂ©ralement financière. Ce sont en effet les premiers. Mais quid des ingĂ©nieurs qui crĂ©ent le produit final et de leurs besoins en termes de forme et de praticitĂ© ? Quid des transporteurs et de leurs besoins en termes de poids et de possibilitĂ©s de rangement ou de dĂ©placement ? Quid du service de contrĂ´le qualitĂ© du produit fini qui testera la soliditĂ© et la qualitĂ© des boitiers au mĂŞme titre que le reste de l’ordinateur ? Quid enfin de l’acheteur de l’ordinateur qui devra dĂ©couvrir si l’engin supporte ou pas le cafĂ© renversĂ© sur le boĂ®tier ?

Après avoir ainsi identifiĂ© sa clientèle rĂ©elle et ajustĂ© sa fenĂŞtre sur les clients prĂ©cis englobĂ©s dans cette fenĂŞtre suivant la compatibilitĂ© de leur vision avec celle du producteur, il convient dĂ©sormais d’écouter. Et d’écouter d’une façon globale, les avis positifs Ă©videmment, qui vous indiquent ce qui fonctionne et vous aident Ă  garder le cap, les avis nĂ©gatifs, qui sont riches d’enseignements, mais Ă©galement le silence et le laconisme. En effet, le Chef de Secteur, interrogĂ© sur ses expĂ©riences rĂ©centes, rĂ©alise qu’il a lui-mĂŞme Ă©tĂ© silencieux lors de ses plus grands mĂ©contentements, notamment un repas au restaurant servi froid et par un personnel odieux quelques semaines plus tĂ´t. A-t-il terminĂ© son repas ? Oui. A-t-il demandĂ© Ă  voir le responsable pour se plaindre ? Non. A-t-il mĂŞme simplement laissĂ© un commentaire dans la boĂ®te prĂ©vue Ă  cet effet sur place ? Non. Et qu’aurait-il rĂ©pondu si le serveur avait daignĂ© comme c’est d’habitude l’usage lui demander si tout se passait bien durant son dĂ®ner ? « Très bien merci Â». Pourquoi ? GĂ©nĂ©ralement pour deux raisons : l’horreur coutumière de « faire des histoires Â» d’une part, et la certitude rĂ©pandue que « de toute façon ça ne servira Ă  rien Â» d’autre part. C’est ainsi la clef du second secret : savoir reconnaĂ®tre que le silence ou un laconique « très bien merci Â» sont en soi un message, et convaincre le client qu’il se trompe, que son avis, positif ou nĂ©gatif, est pertinent et sera pris compte. Pour cela, Bill a pris l’habitude de ne pas solliciter simplement des avis mais de poser des questions prĂ©cises et rĂ©flĂ©chies de façon systĂ©matique après chaque transaction, de conserver un fichier client Ă  jour et dĂ©taillĂ© incluant les prĂ©fĂ©rences de ses clients qui pouvaient ĂŞtre intĂ©grĂ©es Ă  sa vision, et de former son personnel Ă  cette politique du retour client et de la relation personnalisĂ©e, la majeure partie des augmentations et promotions accordĂ©es au sein de son Ă©quipe Ă©tant ainsi basĂ©e non sur les ventes, mais sur le feedback des clients.

Le beau temps Ă©tant de retour, après avoir pris congĂ©, Charlie et le Chef de Secteur finissent au parcours de golf oĂą ce dernier mĂ©dite sur la possibilitĂ© que ses prioritĂ©s, entrevues lorsqu’il a commencĂ© Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  sa vision, ne soient pas nĂ©cessairement les mĂŞmes que celles de ses clients, qu’il connaĂ®t finalement fort peu. Charlie le laisse Ă  ses mĂ©ditations et projets en lui indiquant que lorsqu’il se sentira lui-mĂŞme prĂŞt Ă  dĂ©couvrir le troisième secret, il n’aura qu’à dĂ©crocher son tĂ©lĂ©phone et Charlie sera disponible. MalgrĂ© la tentation d’une dĂ©couverte immĂ©diate, le Chef de Secteur consacre les semaines suivantes Ă  modeler sa vision, tout en envoyant l’ensemble de ses managers au contact des clients de la compagnie, par tĂ©lĂ©phone ou en personne, afin de dĂ©couvrir sa clientèle, sa vision et son degrĂ© de satisfaction. Sur cent clients contactĂ©s, seuls trois ont Ă  se plaindre du produit ou du service client. Mais si les managers considèrent ainsi que 97% sont logiquement satisfaits, le Chef de Secteur a dĂ©sormais compris, puisque pas un de ces 97 clients ne s’étant pas plaint n’est un Fan Inconditionnel, qu’il dispose en rĂ©alitĂ© de 3% de clients mĂ©contents et de 97% de clients peut-ĂŞtre tellement mĂ©contents qu’ils ne prennent plus la peine de se plaindre, et prĂŞts Ă  porter leur clientèle ailleurs pour peu qu’un concurrent s’écarte lĂ©gèrement du « Pas pire que les autres Â». Il se met alors sĂ©rieusement au travail, prĂ©cisant sa vision, l’ajustant dans les critiques constructives qui commencent Ă  lui parvenir, et renonçant lorsqu’il le faut aux clients dont les exigences après-vente ou la conception du produit sont dĂ©cidĂ©ment trop Ă©loignĂ©s de ses propres dĂ©finitions, et qui ne pourront jamais ĂŞtre satisfaits.

Troisième secret : dĂ©passe d’un rang les attentes

Lorsqu’il se sent finalement prêt à connaître le troisième et dernier secret, le Chef de Secteur appelle comme convenu Charlie, qui lui envoie un taxi aux fins de l’acheminer jusqu’au désormais traditionnel parcours de golf. Le Chef de Secteur est peu emballé par cet arrangement, la qualité des taxis de la ville étant notoirement déplorable. Il va comprendre très vite pourtant que ce trajet est partie intégrante de l’énigme du troisième secret.

Sa première surprise vient de la propretĂ© inhabituelle du vĂ©hicule. Elle est moindre que celle qui le saisit lorsque le chauffeur, en costume et d’une courtoisie exquise, sort du taxi en l’appelant pas son nom pour venir lui ouvrir la portière. Le trajet est Ă©galement un rĂŞve : air conditionnĂ© dont le chauffeur s’assure qu’il n’est ni trop fort ni trop faible, comme pour la prĂ©sence ou pas de musique au choix du Chef de Secteur, magasines variĂ©s et de qualitĂ©, thermos de cafĂ© et bouteille d’eau et autres softs Ă  disposition, la course est idĂ©ale. Le chauffeur lui indique ĂŞtre disponible pour discuter s’il le souhaite mais qu’il ne s’offensera pas s’il prĂ©fère savourer son trajet tranquillement. Comprenant l’intĂ©rĂŞt de cette course, le Chef de Secteur l’interroge sur ce service inhabituel, puisqu’il s’agit pourtant d’un taxi de la ville et non d’une sociĂ©tĂ© de transport privĂ©e. Le chauffeur lui fait valoir que ce service ne tient qu’à lui-mĂŞme mĂŞme s’il ne correspond pas Ă  la politique de l’entreprise, et qu’il est possible de se rĂ©former individuellement pour proposer un service de qualitĂ© lorsqu’on tient Ă  ses clients. C’est pourquoi, excĂ©dĂ© par la mĂ©diocritĂ© de son travail, par les mauvaises relations avec les clients et la rĂ©putation exĂ©crable de sa compagnie, il a petit Ă  petit mis en place ces mesures dans son propre taxi, qu’il a cherchĂ© Ă  rendre parfait suivant sa vision idĂ©ale d’une course, et qu’il a adaptĂ©e en fonction des retours clients de plus en plus satisfaits et fidèles, qui se sont mis Ă  l’appeler directement plutĂ´t que de rĂ©server au hasard via la centrale. En quittant le taxi pour rejoindre Charlie, le Chef de Secteur rĂ©alise un point important : il n’a pas subi le trajet, n’en est pas « satisfait Â» comme du simple contentement d’avoir Ă©tĂ© transportĂ© du point A au point B sans accident et pour un tarif ni plus ni moins Ă©levĂ© qu’ailleurs ; non, il n’est pas « satisfait Â» mais a rĂ©ellement et profondĂ©ment apprĂ©ciĂ© le trajet. Il a passĂ© un excellent moment.

Après une brève partie, Charlie dĂ©cide qu’il est temps, et emmène le Chef de Secteur Ă  la dĂ©couverte du secret final. C’est cette fois dans une station-service se prĂ©sentant comme la Meilleure au Monde que Charlie les tĂ©lĂ©porte, un lieu oĂą les employĂ©s, serviables et compĂ©tents, appellent les habituĂ©s et les clients qui paient par carte bleue (sur laquelle leur patronyme apparaĂ®t) par leur nom, et profitent du remplissement du rĂ©servoir pour rapidement nettoyer le pare-brise, vĂ©rifier la pression de pneus et les niveaux d’huile et de liquide de refroidissement, et s’enquĂ©rir de tout autre besoin immĂ©diat. Ă€ la grande surprise du Chef de Secteur, le prix du plein avec ce service est le mĂŞme qu’en libre-service dans la station d’en face. « C’est le prix du libre-service qui est le mĂŞme que celui du service premium Â» lui prĂ©cise un Charlie amusĂ©. C’est Andrew, le patron de cette exceptionnelle station-service, qui va enfin rĂ©vĂ©ler au Chef de Secteur le troisième secret du Service Client IdĂ©al : DÉPASSE D’UN RANG LES ATTENTES.

Andrew lui explique alors que ce secret, qu’il va falloir bien comprendre, dĂ©coule des deux prĂ©cĂ©dents, qui ont d’ores et dĂ©jĂ  permis au Chef de Secteur d’amĂ©liorer grandement la satisfaction de ses clients, tant concernant le produit que leur relation Ă  sa compagnie. Il est parvenu Ă  satisfaire ses clients. En faire des Fans Inconditionnels passe par leur donner au moins un Ă©lĂ©ment de plus que ce Ă  quoi vos visions combinĂ©es ont abouti. Andrew lui rappelle que la notion de « dĂ©passer Â» prĂ©suppose de « remplir Â» au prĂ©alable le contrat de base, en intĂ©gralitĂ© et en toutes circonstances. Le « rang Â» supplĂ©mentaire ne peut et ne doit jamais pallier un manquement sur le service de base. Une qualitĂ© de service constante et une cohĂ©rence dans la progression sont indispensables Ă  la fidĂ©lisation des Fans Inconditionnels. Cela implique de cibler ses spĂ©cificitĂ©s, de ne mettre en place que des mesures dont on est sĂ»r de pouvoir les maintenir sur le long terme et cohĂ©rentes avec sa vision. Andrew nuance ainsi avant mĂŞme de prĂ©ciser l’idĂ©e du « rang supplĂ©mentaire Â» en indiquant qu’à choisir, il vaut mieux tabler sur la consistance, la cohĂ©rence et la stabilitĂ© d’une promesse tenue encore et encore devenant une certitude pour le client que sur un « plus Â» occasionnel ou ne pouvant ĂŞtre systĂ©matiquement Ă©tendu Ă  tous les services et Ă  tous les clients. « D’abord atteindre, pour pouvoir dĂ©passer Â» rappelle-t-il Ă  l’impatient Chef de Service, et notamment par la systĂ©matisation des procĂ©dures, auxquelles le personnel est formĂ© extensivement jusqu’à ce qu’elles deviennent une seconde nature. Cela Ă©tant dit, il explique que les règles et systèmes doivent servir de base et non de fin en soi ; il ne s’agit pas de robotiser le contact en proposant Ă  tous la mĂŞme expĂ©rience avec des procĂ©dures toutes faites, mais d’utiliser ces procĂ©dures toutes faites comme minimum exigible et comme cadre Ă  toute autre initiative personnalisĂ©e en fonction de la situation immĂ©diate, du client particulier, de la part du management comme du personnel. C’est dans ces initiatives encadrĂ©es que rĂ©side le rang supplĂ©mentaire Ă  ajouter Ă  son système, aussi rĂ©gulièrement que possible. Lorsque ce rang « supplĂ©mentaire Â» est suffisamment maĂ®trisĂ© pour devenir partie intĂ©grante de la procĂ©dure ou du système, on peut alors passer Ă  un rang de plus, et ainsi de suite. Comme le Chef de Secteur s’étonne de l’apparent manque d’ambition d’une visĂ©e Ă  seulement « un rang Â» au-dessus, Andrew lui rappelle qu’il s’agit toujours de se dĂ©passer soi-mĂŞme d’un rang, ce qui finit par rĂ©sulter en un nombre incalculable de rangs au-dessus de la concurrence, sans s’éparpiller ni dĂ©cevoir ses Fans Inconditionnels en Ă©tant incapable de maintenir le niveau promis Ă  long terme. Charlie approuve ce filleul accompli, en prĂ©cisant que l’élĂ©ment magique permettant d’appliquer les trois secrets de façon efficace est Ă  l’évidence la flexibilitĂ© : flexibilitĂ© de sa vision, qui ne signifie pas inconsistance mais adaptabilitĂ©, surtout dans la durĂ©e et face aux nouveaux challenges qui se prĂ©sentent immanquablement dans la vie d’une compagnie, flexibilitĂ© de rĂ©ponse aux attentes des clients, et flexibilitĂ© des systèmes et procĂ©dures indispensables Ă  crĂ©er des fondations solides qui comme la vision, peuvent devenir obsolètes s’ils restent figĂ©s.

La prĂ©paration d’une cĂ©rĂ©monie de passage au statut d’initiĂ© est l’occasion pour ledit Chef de Secteur de rĂ©sumer et d’intĂ©grer la cohĂ©sion des trois secrets du Service client IdĂ©al pour crĂ©er des fans Inconditionnels appris auprès de sa Marraine Bonne FĂ©e Charlie : dĂ©finir sa vision, dĂ©couvrir celle des clients et leurs attentes, dĂ©passer progressivement et constamment les systèmes nĂ©s de la fusion de ces visions, en Ă©tant Ă  chaque Ă©tape et dans chaque perspective, flexible sur la forme comme sur le fond. Il est alors nommĂ© « Grand Charlie Â», obtenant la capacitĂ© d’enseigner les trois secrets aux personnes de son choix et l’insigne honneur d’invoquer Charlie sur le parcours de golf n’importe quand ainsi que de payer Ă  boire Ă  Leo, Sally, Bill et Andrew, tous prĂ©sents pour l’occasion. Au-delĂ  du parti-pris fictionnel et humoristique de l’ouvrage, Raving Fans ! est aujourd’hui considĂ©rĂ© comme une rĂ©fĂ©rence mondiale de stratĂ©gie commerciale Ă  travers le monde.